Les compagnies de covoiturage résistent à la reclassification de leurs chauffeurs en tant qu'employés depuis qu’une loi californienne, connue sous le nom de AB5, est entrée en vigueur cette année. Selon les avocats du travail, cette reclassification donnerait aux conducteurs de plus grands avantages et droits. Mais une injonction préliminaire accordée lundi par un juge de San Francisco pourraient obliger les sociétés comme Uber et Lyft à changer le statut entrepreneur indépendant de leurs conducteurs californiens dans les semaines à venir. Cependant, les sociétés ont déclaré qu'elles prévoyaient de déposer un appel d'urgence immédiat pour empêcher l'entrée en vigueur de la décision.
Alors que les travailleurs luttent pour protéger leurs emplois pendant cette période de pandémie du coronavirus, l'absence d'indemnisation des travailleurs et d'allocations de chômage pour les chauffeurs fait l’objet d’une lutte acharnée entre les compagnies de covoiturage, ainsi que d'autres entreprises de la "gig economy", d’un côté et l’État de la Californie et les syndicats des travailleurs, d’un autre. La décision prise lundi vient en réponse à un procès intenté en mai par l'État de Californie contre les sociétés, alléguant qu'elles classent mal leurs chauffeurs en vertu du nouveau droit du travail de l'État.
La nouvelle loi plus stricte de l’État, première de son genre aux États-Unis, est entrée en vigueur depuis le 1er janvier. La loi AB5 rend plus difficile pour les entreprises de classer les travailleurs comme entrepreneurs indépendants au lieu d'employés qui ont droit au salaire minimum et aux avantages sociaux. La pression est accru sur Uber et Lyft qui luttent pour garder leurs travailleurs en tant qu’entrepreneurs indépendants en Californie – leur plus grand marché aux États-Unis et où les deux sociétés ont été fondées –, alors que la crise sanitaire a impacté durement de nombreux secteurs secteurs de l’économie dans le monde entier.
Uber, Lyft et DoorDash ont dépensé environ 100 millions de dollars pour une mesure de vote qui vise à les exempter de la loi AB5. Selon leur proposition, les chauffeurs recevraient des subventions basées sur le kilométrage, des allocations de santé et une assurance accidents du travail, tout en conservant leur flexibilité en tant que travailleurs indépendants. L'injonction de lundi est l’un des défis les plus importants pour les entreprises de la "gig economy", et pourrait modifier fondamentalement le modèle d'affaires des sociétés de covoiturage en Californie.
La proposition d'Uber et de Lyft va « à l'encontre de la réalité économique et du bon sens »
Le procureur général de Californie, Xavier Becerra, ainsi que les procureurs municipaux de Los Angeles, San Francisco et San Diego, ont poursuivi les sociétés en justice en mai dernier, arguant que leurs chauffeurs étaient classés à tort comme entrepreneurs indépendants alors qu'ils devraient être employés en vertu de la loi AB5 de l'État. Becerra avait aussi déposé une demande d'injonction préliminaire, selon Le Guardian, qui pourrait obliger les sociétés de transport à classer immédiatement les chauffeurs comme employés. La loi AB5, qui a été promulguée en septembre dernier, consacre le "test ABC" pour déterminer si une personne est un entrepreneur ou un employé.
La CPUC (Commission des services publics de Californie), qui réglemente les entreprises de covoiturage dans tout l'État, a déclaré dans une ordonnance en juin que les chauffeurs travaillant pour des sociétés du réseau de transport (TNC) seront considérés dorénavant comme des employés en vertu de la loi AB5. « Pour l'instant, les chauffeurs des TNC sont présumés être des employés et la commission doit s'assurer que les TNC respectent les exigences applicables aux employés d'une entité relevant de la juridiction de la commission », a écrit en juin Genevieve Shiroma, commissaire à la Commission des services publics de Californie.
« C'est aussi simple que cela », a écrit lundi le juge Ethan Schulman de la Cour supérieure de Californie dans son jugement, « Les conducteurs des défendeurs n'effectuent pas de travail qui sort du cadre habituel de leur activité. L'insistance des défendeurs sur le fait que leurs entreprises sont des "plateformes multiformes" plutôt que des sociétés de transport est en contradiction flagrante avec les dispositions légales qui régissent leurs activités en tant que sociétés de réseau de transport, définies comme des sociétés qui "se livrent au transport de personnes par véhicule à moteur contre rémunération" ».
« Cela va également à l'encontre de la réalité économique et du bon sens... Pour dire les choses clairement, les conducteurs sont au centre, et non pas en marge, de toute l'activité de transport d'Uber et Lyft », a ajouté le juge.
Dans une déclaration saluant le jugement, Becerra a déclaré que la Californie et ses travailleurs « ne devraient pas avoir à payer la facture lorsque les grandes entreprises tentent de se soustraire à leurs responsabilités. Nous allons continuer à travailler pour nous assurer qu'Uber et Lyft respectent les règles ».
Les groupes de chauffeurs qui ont fait pression sur les entreprises pour qu'elles reclassent leurs chauffeurs ont salué cette décision comme un progrès. « La décision d'aujourd'hui confirme ce que les chauffeurs californiens savent depuis longtemps être vrai », a dit Mike Robinson, un chauffeur de Lyft et membre de la Mobile Workers Alliance, un groupe de chauffeurs de Californie du Sud, dans une déclaration. « Les travailleurs comme moi ont des droits et Uber et Lyft doit respecter ces droits », a-t-il ajouté.
« C'est énorme », a déclaré Veena Dubal, professeur associé de droit à l'Université de Californie à Hastings, qui fait des recherches sur le secteur d’activité. « C'est la plus proche en huit ans que le système judiciaire ait jamais réussi à faire respecter les droits du travail dans la "gig economy" ».
Cette injonction n’est que le dernier coup porté aux sociétés en Californie. La semaine dernière, la commissaire du travail de l'État, Lilia García-Brower, a allégué dans un double procès distincts que Lyft et Uber commettent un vol de salaire en classant à tort les conducteurs comme entrepreneurs indépendants. La classification des chauffeurs en tant que travailleurs indépendants les a privés d'« une foule de protections juridiques en violation du droit du travail californien », affirment les poursuites.
« Le modèle économique d'Uber et Lyft repose sur la classification erronée des chauffeurs comme entrepreneurs indépendants », a-t-elle indiqué, dans une déclaration. « Cela laisse les travailleurs sans protections telles que les congés de maladie payés et le remboursement des frais des chauffeurs, ainsi que les heures supplémentaires et le salaire minimum ».
« La grande majorité des chauffeurs veulent travailler de manière indépendante »
Si la loi est appliquée et que les conducteurs venaient à être classés comme des employés, Uber et Lyft seraient responsables de leur payer le salaire minimum, la compensation des heures supplémentaires, les périodes de repos payées et le remboursement des frais de conduite pour les entreprises, y compris le kilométrage des véhicules personnels. Mais en tant qu'entrepreneurs indépendants, les conducteurs ne bénéficient d'aucun de ces avantages.
L'injonction du juge Schulman n'aura pas d'effets sur les services de ces sociétés, pour l'instant. La cour a accordé un délai de 10 jours pour permettre aux entreprises de faire appel, et c’est ce que les deux sociétés prévoient de faire immédiatement. Uber a apporté des modifications à son application dans les mois qui ont suivi l'entrée en vigueur de la loi AB5, comme par exemple permettre aux conducteurs de fixer leurs propres tarifs, dans un effort pour éviter la portée de la nouvelle loi en démontrant que les conducteurs opèrent en tant qu'entrepreneurs.
Dans le procès de l’État contre les sociétés en mai, ces efforts, ainsi que l’initiative de vote de Lysft et Uber, ont été décrits comme « une campagne de relations publiques agressive dans l'espoir de consacrer leur capacité à maltraiter leurs travailleurs » au milieu d'une « pandémie unique en son genre ». Les conducteurs ont également demandé à ces entreprises d'abandonner leurs efforts coûteux pour échapper à l'application de la loi AB5 et de réinvestir les fonds pour aider leurs travailleurs, a déclaré Edan Alva, un conducteur de Lyft et membre du groupe de défense Gig Workers Rising.
« La grande majorité des chauffeurs veulent travailler de manière indépendante, et nous avons déjà apporté des modifications importantes à notre application pour nous assurer que cela reste le cas selon la loi californienne », a déclaré un porte-parole d'Uber, suite à l’injonction. « Lorsque plus de 3 millions de Californiens sont sans emploi, nos dirigeants élus devraient se concentrer sur la création d'emplois, et non pas essayer de fermer une industrie entière pendant une dépression économique ».
Un porte-parole de Lyft a abordé la question dans le même sens. « Les conducteurs ne veulent pas être des employés, point final », a-t-il déclaré. « Nous allons immédiatement faire appel de cette décision et continuer à nous battre pour leur indépendance. En fin de compte, nous pensons que cette question sera décidée par les électeurs californiens et qu'ils se rangeront du côté des conducteurs ».
Selon un commentateur, « Le problème est que le modèle économique ne fonctionne pas. Il est trop coûteux d'avoir des employés, et si vous augmentez les tarifs pour couvrir les frais, vous revenez aux tarifs des taxis ». Attendons novembre, et voyons si les électeurs de l'État se prononceront en faveur des propositions soutenues par Uber et Lyft en classant les chauffeurs et autres travailleurs de la "gig economy" » comme entrepreneurs indépendants.
Source : Ordonnance d’injonction préliminaire
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Voir aussi :
Les régulateurs californiens affirment que les chauffeurs d'Uber et de Lyft sont des employés, en vertu d'une nouvelle loi californienne en faveur des travailleurs indépendants
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Un juge californien ordonne à Uber et Lyft de reclasser les conducteurs en tant qu'employés,
Alors que selon les sociétés, les chauffeurs préfèrent la flexibilité du travail en freelance
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Le , par Stan Adkens
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