La proposition de loi Avia qui promet d’assainir l’Internet en France a été largement adoptée à l’Assemblée nationale en juillet dernier. Le texte a été soumis au Sénat, qui l’a également adopté dans la nuit du mardi au mercredi, après l’avoir détricoté et amputé de sa mesure la plus emblématique. Cette mesure phare, copiée sur le modèle allemand, fait obligation aux plateformes et moteurs de recherche (Facebook, Twitter, Google, etc.) de retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures, sous peine d'être condamnés à des amendes allant jusqu'à 1,25 million d'euros.
La nouvelle loi française contre la haine en ligne vise les incitations à la haine, la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Elle bannira également les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine, maintenant qu’elle est adoptée. Sont visés aussi par cette loi les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie.
En plus de l'article 1er du texte de Laetitia Avia, le texte prévoit une série de nouvelles contraintes pour les plateformes, y compris la transparence sur les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, la coopération renforcée notamment avec la justice, une attention particulière accordée aux mineurs. Et le tout mis sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
33 députés ont voté contre l’adoption de la proposition de loi en juillet. Certains d’entre eux craignaient que les réseaux sociaux ne se livrent à de la « surcensure », préférant effacer allègrement des contenus sans analyse du contexte, plutôt que de risquer une lourde sanction financière. D’autres jugeant « sans doute inconstitutionnelle » la « perte de souveraineté consécutive à la décision de confier la modération aux seules plateformes, avec le risque d'aseptisation et d'uniformisation des contenus, et d'atteinte à la liberté d'expression ».
Des acteurs de la société civile ont également contesté la loi dans la forme dans laquelle elle a été adoptée par les députés. Dans une lettre ouverte, la Ligue des droits de l'homme, la présidente du Conseil national du numérique et la présidente du Conseil national des barreaux ont plaidé que « le juge doit être au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage ».
Réunis en commission des lois le 11 décembre, les sénateurs se sont opposés à deux dispositions du texte qu’ils ont jugées excessives et surtout irrespectueuses du droit. Il s’agit d’abord de la mesure selon laquelle les plateformes et moteurs de recherche auraient l’obligation de retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures, sous peine d’être condamnés à des amendes jusqu’à 1,25 million d’euros. La loi a été adoptée sans cette mesure phare par les sénateurs, qui avaient pointé un risque de « surcensure » et la crainte que des contenus licites soient retirés « par excès de prudence ».
Les travaux en commission avaient aussi conduit à un amendement qui supprime l'obligation mise à la charge des plateformes d’empêcher, de façon générale et indiscriminée, la réapparition de contenus haineux illicites déjà retirés. Le texte voté hier reste relativement proche de celui issu des travaux de la commission des lois du Sénat, bien que quelques amendements aient été ajoutés à ceux adoptés en commission.
Comme l’explique le Sénat sur son site Web, quelques amendements ont malgré tout été adoptés, par exemple pour « insérer en ligne, là où du contenu aura été retiré, un message rappelant les règles élémentaires d'échanges respectueux entre les utilisateurs ». Les sénateurs ont également souhaité « renforcer les moyens d’action du CSA en lui donnant accès aux principes et méthodes de conception des algorithmes des plateformes en ligne ainsi qu’aux données sur lesquels ils se basent ».
Le rapporteur LR Christophe-André Frassa a assuré que « Tous ici nous partageons l’objectif de ce texte, lutter contre la haine en ligne ». Mais les sénateurs mettent dans la balance la liberté d’expression, pointant un risque de « surcensure », et le droit européen. En novembre, la Commission européenne a fait des critiques contre la loi Avia.
Au motif toutefois de lutter contre la haine en ligne, « il ne peut être exclu que pour respecter cette obligation, les plateformes en ligne seraient en pratique contraintes d’appliquer un filtrage automatique et général de tout leur contenu, ce qui serait incompatible avec […] la directive sur le commerce électronique », avait estimé notamment la commission dans ses observations. « Ceci risquerait ainsi d’entraîner la suppression de contenu licite et par conséquent porterait atteinte à la liberté d’expression », avait-elle exposé.
Pas question de confier aux plateformes « la police de la pensée et de l’expression », s’est insurgée Catherine Morin-Desailly (centriste). « La lutte contre la propagation de la haine sur Internet est fondamentale, mais pas au prix d’une atteinte sur la liberté d’expression », a encore estimé Marie-Pierre de la Gontrie (PS), selon l’AFP.
Les sénateurs ont finalement adopté un amendement PS adoucissant la mesure phare de la loi en présentant le délai de 24 heures comme un simple « objectif ». Le montant maximal des sanctions pécuniaires, pouvant être prononcé par le régulateur en cas de manquement d’un opérateur à ses obligations, a été reformulé, d’après le site Web du Sénat. Les sénateurs ont en revanche voté d’autres contraintes pour les plateformes, comme la transparence sur les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, une coopération renforcée avec la justice, ou encore un renforcement de leur régulation sous la supervision du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Source : Sénat
Et vous ?
Que pensez-vous du texte adopté par le Sénat, après le retrait de certaines mesures ?
Pourra-t-il lutter efficacement contre la haine en ligne ? Dans quelle mesure ?
Lire aussi
Loi contre la haine en ligne : les sénateurs s'opposent à deux dispositions du texte, qu'ils jugent excessives et irrespectueuses du droit
La député LREM Laeticia Avia fait une proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet, en voici les grandes lignes
Loi contre la haine en ligne : le SPIIL ne veut pas de la presse dans le périmètre de la loi, la responsabilité des éditeurs étant déjà engagée
Propos haineux sur Internet : l'Assemblée nationale adopte la loi Avia, mais certains s'inquiètent du flou qui entoure la notion de «haine»
Lutte contre la haine sur Internet : la proposition de loi Avia adoptée par le Sénat,
Après avoir retiré sa mesure phare
Lutte contre la haine sur Internet : la proposition de loi Avia adoptée par le Sénat,
Après avoir retiré sa mesure phare
Le , par Stan Adkens
Une erreur dans cette actualité ? Signalez-nous-la !