Malgré les protestations de géants des nouvelles technologies, de médias et de défenseurs des droits de l’homme, la loi anti-fausses nouvelles de Singapour, qui prévoie des amendes et des peines d’emprisonnement aux contrevenants, est entrée en vigueur la semaine dernière. La loi oblige également les plateformes numériques – y compris les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et les services d'agrégation de nouvelles – à retirer ou à ajouter des messages de « correction » à côté des posts jugés faux par les autorités. Selon les critiques, cette nouvelle loi pourrait être utilisée pour supprimer la liberté d'expression dans l'État de Singapour, déjà étroitement contrôlé, a rapporté CNN il y a une semaine.
En vertu de la loi sur « la protection contre les falsifications et les manipulations en ligne », il est désormais illégal de diffuser de « fausses déclarations de fait » dans des circonstances où ces informations sont jugées « préjudiciables » à la sécurité de Singapour, à la sûreté publique, à la « tranquillité publique » ou aux « relations amicales entre Singapour et les autres pays », pour ne citer que quelques exemples.
La nouvelle loi autorise les ministres du gouvernement à décider d'ordonner qu'une information jugée fausse soit retirée ou qu'une correction y soit apportée. Il est également permis à ces autorités d’ordonner à des entreprises technologiques comme Facebook et Google de bloquer des comptes ou des sites Web qui diffusent de fausses informations.
En vertu de la loi, les personnes reconnues coupables d'avoir enfreint la loi peuvent être passibles d'amendes allant jusqu’à 36 000 dollars ou d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans. Si la prétendue falsification est affichée en utilisant « un compte en ligne non authentique ou contrôlé par un robot », l'amende potentielle totale s'élève à environ 73 000 dollars, et, ou, jusqu'à 10 ans de prison. Quant aux entreprises reconnues coupables de diffusion de « fausses nouvelles », la loi prévoit des amendes pouvant atteindre 735 000 dollars.
Le Premier ministre de Singapour Lee Hsien Loong a défendu le projet de loi lorsqu'il a été adopté en mai dernier, le qualifiant d’un pas dans la bonne direction. Dans une citation du South China Morning Post, M. Lee a déclaré : « Je ne pense pas que notre législation restreigne de quelque façon que ce soit la liberté d'expression ». « Je vois cela comme un arrangement pratique qui nous aidera à résoudre le problème[des fausses nouvelles] », a-t-il ajouté.
Selon CNN, le gouvernement a promis que toute personne touchée par le projet de loi pourra interjeter appel rapidement et à peu de frais, mais les groupes de défense des droits et les avocats ont averti à maintes reprises que le projet pourrait faire l'objet d'abus et pourrait avoir un effet étouffant sur la liberté de parole. Cependant, K Shanmugam, le ministre de l'Intérieur et du Droit de Singapour, a déclaré que les ministres devront expliquer pourquoi un contenu est faux s'ils ordonnent un retrait ou une correction, et ne pourront pas simplement rendre une décision arbitraire.
Des critiques qualifient la loi d’être adoptée à des « fins politiques » et d’interférer avec la liberté d'expression
Lors de l’examen du projet de loi, le Premier ministre a justifié sa nécessité en vue de protéger la petite cité-État multiethnique et multireligieuse d’Asie contre des attaquants qui diffusent des contenus mensongers en ligne. « Si nous ne nous protégeons pas, les parties hostiles trouveront qu'il est facile de monter les différents groupes les uns contre les autres et de semer le désordre dans notre société », avait dit M. Lee.
Mais malgré les assurances répétées du gouvernement selon lesquelles le projet de loi ne vise qu'à mettre fin à la propagation rapide de mensonges malveillants, de nombreux détracteurs ne sont toujours pas convaincus, soulignant le piètre bilan de Singapour en matière de liberté de la presse et de protection des dissidents politiques. En effet, dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, Singapour se classe au 151e rang sur 180 pays, un mauvais classement pour un pays qui se considère comme une démocratie, selon CNN.
La Commission internationale de juristes (CIJ), un groupe d'éminents juges et avocats, a condamné le projet de loi avant son introduction, affirmant qu'il y avait « un risque réel que la loi soit utilisée à mauvais escient pour réprimer les opinions ou les informations critiques à l'égard du gouvernement », a rapporté CNN.
En avril dernier, Phil Robertson, directeur adjoint de Human Rights Watch Asie, a déclaré à CNN qu'il s'attendait à ce que le nouveau projet de loi, qui arrive avant les élections de l'année prochaine, soit utilisé à des « fins politiques ». « Le gouvernement de Singapour qualifie depuis longtemps tout ce avec quoi il n'est pas d'accord de faux et de trompeur », a-t-il dit.
Selon NPR, les législateurs de l'opposition et les défenseurs de la liberté d'expression à Singapour et dans toute la région affirment que la loi étouffera le débat public et paralysera les journalistes dans un pays qui, selon eux, s'achemine progressivement vers l'autoritarisme.
Quant à Kirsten Han, rédactrice en chef du site d'information en ligne New Naratif, basé à Singapour, elle dit que l'on ne sait pas encore à quelle fréquence la nouvelle loi sera utilisée. Dans un courriel à NPR, elle a déclaré que « ce qui m'inquiète, c'est que la culture de l'autocensure s'enracinerait probablement davantage, non seulement parmi les journalistes, mais aussi parmi les Singapouriens en général ».
Selon CNN, bien que la loi vise principalement à contrôler le contenu à Singapour, les groupes de défense des droits ont également souligné l'effet de levier qu'elle pourrait avoir sur les grandes entreprises technologiques et les médias internationaux ayant une présence importante dans la cité-État, notamment Facebook, Twitter et Google.
Dans un communiqué, Nicholas Bequelin, directeur régional d'Amnesty International pour l'Asie de l'Est et du Sud-Est, a déclaré que cette loi donnerait à Singapour une influence écrasante sur Facebook et Twitter pour supprimer tout ce que le gouvernement juge « malhonnête ». « C'est un scénario alarmant. Bien que les entreprises de technologie doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre les espaces numériques sûrs pour tout le monde, cela ne constitue pas une excuse pour les gouvernements d'interférer avec la liberté d'expression - ou de régner sur le fil d'actualité », a-t-il ajouté.
La loi de Singapour n’est pas la première qui vise les contenus faux ou extrémistes sur les médias en ligne
La prolifération des fausses informations et des contenus extrémistes sur Internet au cours de ces dernières années a eu pour conséquence l’adoption des projets de loi qui visent à restaurer la toile afin d’en faire un endroit fréquentable. Selon CNN, une particularité de ces lois est qu’elles sont adoptées à la hâte par les assemblées législatives en réaction à des événements particuliers ou à la panique des médias, sans l'examen minutieux qui accompagnerait habituellement des lois d'une telle portée.
En avril dernier, en réponse au massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande, dont une grande partie a été diffusée en ligne, l’Australie a adopté (en urgence) une loi de grande envergure qui menace les réseaux sociaux et autres plateformes numériques avec d’énormes amendes et les emprisonnements pour leurs dirigeants si ceux-ci ne retirent pas rapidement les « contenus violents odieux » de leurs plateformes, et ce malgré les protestations de législateurs, d'experts de l'industrie et de groupes de défense des droits. La loi australienne criminalise des vidéos montrant des attaques terroristes, des meurtres, des viols ou des enlèvements.
Des propositions similaires au Royaume-Uni sont actuellement en phase de consultation. L’année dernière, le gouvernement britannique a dévoilé un outil basé sur la technologie de l’intelligence artificielle qui, selon lui, permettrait de détecter le contenu djihadiste avec une grande précision et empêcherait sa diffusion. La secrétaire d'État à l'Intérieur, Amber Rudd, lors en visite aux États-Unis en février 2018 pour rencontrer des entreprises technologiques et discuter avec elles des efforts à consentir pour lutter plus efficacement contre la prolifération de l’extrémisme en ligne a déclaré à la BBC qu’elle n’excluait pas de contraindre légalement les entreprises technologiques à utiliser cet outil dans le futur.
Quant à la loi française contre la haine en ligne, elle vise les incitations à la haine, la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Elle criminalise également les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine. De tels contenus doivent être retirés en ligne, sous 24 heures, par les plateformes et moteurs de recherche, sous peine d'être condamnés à des amendes allant jusqu'à 1,25 million d'euros.
Mais la loi n’a pas été adoptée par l’Assemblée nationale sans heurt. Des élus d’autres bords ont qualifié la nouvelle loi de la « surcensure » entre les mains des plateformes numériques. Ce qui est encore inquiétant est que de plus en plus de pays ont ou sont en train d’adopter une mesure similaire. En ce qui concerne Singapour, les ministres devront justifier que le contenu est faux avant d’ordonner son retrait ou sa correction.
Source : Parlement de Singapour
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Et Facebook et autres devront retirer les contenus jugés faux en vertu d'une nouvelle loi
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Le , par Stan Adkens
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