La nouvelle loi française contre la haine en ligne vise les incitations à la haine, la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Une fois adoptée, elle bannira également les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine. Sont visés aussi par cette loi les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie.
En plus de l'article 1er du texte de Laetitia Avia, le texte prévoit une série de nouvelles contraintes pour les plateformes, y compris la transparence sur les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, la coopération renforcée notamment avec la justice, une attention particulière accordée aux mineurs. Et le tout mis sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel. C’est l’aboutissement d’un combat de longue haleine que mène l’élue LREM contre les « trolls » et « haters » depuis des années.
La députée a dit ceci devant ses collègues députés :
«À vous, mes chers trolls, haters, têtes d’œuf anonymes qui vous croyez seuls, cachés derrière vos écrans, vous qui êtes infiniment petits et lâches, sachez que nous nous battrons pour vous trouver et vous mettre face à vos responsabilités ».
Les plateformes et moteurs de recherche concernés par la nouvelle législation seront ceux dont l’activité sur le territoire français dépassera des seuils déterminés par décret. La semaine dernière, à la veille du vote à l’Assemblée nationale de l’article 1er, les députés ont mis en exergue dans le texte de loi le « respect de la dignité humaine » et la lutte contre l'apologie des crimes contre l'humanité, mais n'ont pas étendu le champ d'application au négationnisme, ce qui a entrainé un débat à l’Assemblée.
Effectivement, les contenus haineux prospèrent en ligne en France et le sujet est d’actualité. Il était grand temps de les combattre. Par ailleurs, la parlementaire, auteure de la proposition de loi et fervente opposante au racisme, a dit que ce texte « porte en [lui] mon histoire, celle d’une femme qui n’accepte plus d’être insultée et traitée de négresse sur les réseaux sociaux». Mais la loi n’a pas été adoptée sans débats vifs au parlement ce mardi.
Des élus d’autres bords ont qualifié la nouvelle loi de la « surcensure » entre les mains des plateformes numériques
Selon le Figaro, des élus d’autres bords politiques craignent que les réseaux sociaux ne se livrent à de la « surcensure », préférant effacer allègrement des contenus sans analyse du contexte, plutôt que de risquer une lourde sanction financière. Ce qui constitue, en quelque sorte, une menace pour la liberté d’expression. François Ruffin, député de la France Insoumise a déclaré : « Vous confiez la censure à Google, à Facebook, à Twitter - une censure privée, surtout. Pire : une censure technologique ».
La plupart des groupes politiques sont partagés sur la question. La quasi-totalité des députés LREM, MoDem et UDI se sont prononcés pour, mais une poignée d’entre eux se sont abstenus. Philippe Latombe de MoDem a même voté contre, jugeant « sans doute inconstitutionnelle » la « perte de souveraineté consécutive à la décision de confier la modération aux seules plateformes, avec le risque d'aseptisation et d'uniformisation des contenus, et d'atteinte à la liberté d'expression ». Les députés de la France insoumise ont voté contre pour ne pas que « sous prétexte de responsabiliser les plateformes », la proposition de loi « déresponsabilise l'État ». Les députés RN, dont Marine Le Pen, s'inquiétant pour « les libertés publiques », ont également voté contre.
Des acteurs de la société civile contestent aussi la loi dans sa forme actuelle à cause des risques de « censure »
La Ligue des droits de l'homme, la présidente du Conseil national du numérique et la présidente du Conseil national des barreaux ont plaidé, dans une lettre ouverte, que « le juge doit être au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage ». La Mémoire des Résistants juifs de la MOI et l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, deux associations de résistants juifs, ont écrit au Premier ministre Édouard Philippe pour dénoncer la philosophie de cette initiative. Voici ce qu’elles ont déclaré :
« Sous prétexte de la lenteur du système judiciaire, loin, comme il se devrait, de transférer vers une autorité publique indépendante spécifique le soin de décider du retrait de propos haineux, le texte en discussion délègue aux plateformes Internet elles-mêmes l’effacement de ces propos». C’est par ailleurs devant les juifs du Crif que le président français avait lancé la loi contre la haine sur Internet en février dernier.
La Quadrature du net s’érige également contre la nouvelle loi. Selon le défenseur des droits de l'internaute, l'obligation de retrait sous 24 heures pèsera sur des opérateurs « sans activité commerciale » tel Wikipédia. Les grandes entreprises du numérique elles-mêmes s'inquièteraient aussi de l'obligation de retrait, pouvant entraîner une cascade de polémiques et de conflits juridiques, d’après le journal Le Point. Toutefois, Zuckerberg avait jugé encourageant l’initiative française en mai dernier.
Mais alors que le projet de loi divise sur son potentiel à donner le pouvoir de censure aux réseaux sociaux, le gouvernement s’est voulu rassurant
« C’est à la justice, toujours indépendante, qu’il revient de déterminer si un contenu est légal ou illégal - et à elle seule »
Pour Cédric O, le secrétaire d’État au numérique, l'équilibre est « atteint » entre liberté d'expression et « efficacité », car les plateformes ne devront pas se contenter de retirer tous les messages ou images signalés sans justification. Toutefois, les plateformes ne seront pas sanctionnées en cas de retraits injustifiés, un amendement communiste qui visait à sanctionner les plateformes visées par la loi en cas de « retrait abusif » d'un contenu ayant été rejeté par l’Assemblée le jeudi.
Bercy a expliqué également que « Si un contenu haineux passe, l’État ne sanctionnera pas, mais vérifiera que le dispositif de retrait existe et que tout est mis en œuvre pour qu’il soit opérationnel ». Le gouvernement a apporté un amendement le jeudi selon lequel un parquet et une juridiction seront spécialisés dans la lutte contre la haine en ligne à la satisfaction des députés de tous bords qui veulent remettre la justice au centre. « C’est à la justice, toujours indépendante, qu’il revient de déterminer si un contenu est légal ou illégal - et à elle seule », a ajouté Cédric O.
Pour rassurer ceux qui ont encore des doutes sur la nature des contenus à retirer rapidement de l’Internet, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a expliqué que « Ce qui compte, c’est le champ des infractions pénales (…) celles qui existent déjà ». Le négationnisme et « la stigmatisation des activités agricoles » et « l’incitation à des actes d’intrusion et/ou de violence vis-à-vis des professionnels de l’agriculture, de l’élevage » proposées par Marc Le Fur, député LR, n’ont pas trouvé place dans le texte.
Voici un aperçu des principales mesures de la proposition de loi de Laetitia Avia complétée par les députés et soumise au vote de l'Assemblée :
- Retrait sous 24 heures
Quel que soit leur pays d'établissement, les opérateurs de plateforme en ligne (Facebook, Youtube...) et moteurs de recherche (Google, Qwant...), dont l'activité sur le territoire français dépassera des seuils déterminés par décret, seront tenus de retirer ou déréférencer dans un délai de vingt-quatre heures tout contenu « manifestement » illicite, après signalement par une ou plusieurs personnes.
- Peines en cas de transgression
Les plateformes numériques feront figurer un message indiquant le retrait à la place de ces contenus. La justice pourra prononcer des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros envers les opérateurs et les éventuels signalements abusifs par les utilisateurs de plateforme seront également passibles d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. Un parquet et une juridiction spécialisés lutteront contre la haine en ligne.
- Coopération des plateformes
Elles devront mettre en œuvre « les procédures et les moyens humains » ainsi que « technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues », sans effectuer de retraits injustifiés.
- Education
La lutte contre la diffusion de messages haineux en ligne devra faire partie du programme scolaire, et la formation des enseignants sera renforcée. Les opérateurs seront tenus, lors de la première utilisation de leurs services par un mineur âgé de moins de quinze ans, de sensibiliser le mineur et ses parents à une « utilisation civique et responsable », et de les informer des risques juridiques en cas de diffusion par le mineur de contenus haineux.
La nouvelle loi de la France, qui veut être à l’avant-poste dans la lutte contre haine en ligne, est en bonne voie pour être adoptée dès la rentrée prochaine. Mais la vague de contestation promet des débats très intenses dans son application.
Source : Assemblée nationale, Tweet de Laetitia Avia
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Les petites entreprises visées par la nouvelle loi auront-elles les moyens pour l’observer afin d’éviter les sanctions ?
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