Le 20 mars 2019, une proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet a été déposée à l’Assemblée nationale. Cette initiative dresse le constat d’une « libération de la parole haineuse » sur internet, face à laquelle la réponse judiciaire s’avère le plus souvent démunie , tandis que les plateformes de réseaux sociaux s’abritent derrière la responsabilité limitée qui leur est conférée en la matière par le statut d’hébergeur.
La nouvelle loi française contre la haine en ligne vise les incitations à la haine, la violence, les discriminations, les injures à caractère raciste ou encore religieux. Une fois adoptée, elle bannira également les messages, vidéos ou images constituant des provocations à des actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une atteinte à la dignité de la personne humaine. Sont visés aussi par cette loi les contenus constitutifs de harcèlement, proxénétisme ou pédopornographie.
En juillet 2019, les députés ont voté la proposition de loi (par 434 voix pour, 33 contre et 69 abstentions). La mesure phare, copiée sur le modèle allemand, fait obligation aux plateformes et moteurs de recherche (Facebook, Twitter, Google, etc.) de retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures, sous peine d'être condamnés à des amendes allant jusqu'à 1,25 million d'euros.
Réunis en commission des lois le 11 décembre, les sénateurs se sont opposés à deux dispositions du texte qu’ils ont jugées excessives et surtout irrespectueuses du droit. Il s’agit d’abord de la mesure selon laquelle les plateformes et moteurs de recherche auraient l’obligation de retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures. La loi a été adoptée sans cette mesure phare par les sénateurs, qui avaient pointé un risque de « surcensure » et la crainte que des contenus licites soient retirés « par excès de prudence ».
Le 8 janvier 2020, la commission mixte paritaire (CMP) s'est réunie, sous la présidence de Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, pour examiner les dispositions restant en discussion de la proposition de loi. Les députés et les sénateurs ont échoué ce mercredi à trouver un compromis pour permettre au texte d'être adopté. La cause ? L'une des mesures les plus controversées du texte, à savoir la mise en place d'un délit de « non-retrait » des contenus signalés comme « manifestement illicites »
Cela n'a pas empêché les députés de ramener le délai de 24 heures proposé au départ à 1 heure et d'adopter également le délit de non-retrait le 21 janvier 2020.
Rappelons que même le délai de 24 heures inquiétait déjà plusieurs organisations comme l’Association des Avocats Conseils d'Entreprises, Change.org, Conseil National des Barreaux, Conseil National du Numérique et autres. « En tant que principaux représentants de la société civile numérique française, acteurs de la défense des droits et de la mobilisation citoyenne en ligne, nous partageons une profonde inquiétude quant aux risques que ferait encourir à nos droits et libertés fondamentaux la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, si elle imposait aux plateformes un délai de 24 heures pour décider du retrait des contenus qui leurs sont signalés. À l'occasion de sa nouvelle discussion au sein de l'Assemblée nationale, nous portons un appel fort à tenir compte, dans la version finale du texte, des alertes que chacune de nos organisations a pu individuellement ou collectivement porter », ont-elles déclaré dans une lettre.
« Notre principale divergence avec les députés concerne l’article 1er [du texte présenté], qui crée un délit de "non retrait" en 24 heures des contenus haineux. Ce dispositif est juridiquement inabouti, contraire au droit européen et déséquilibré, au détriment de la liberté d’expression », avait déclaré le sénateur Christophe-André Frassa, rapporteur du texte au Sénat, dans un communiqué de presse. Le moins que l'on puisse dire, c'est que leurs craintes n'ont pas été prises en compte, car la loi est adoptée et le délai est désormais d'une heure. S’il n’y a pas de mesures prises dans ce délai, le blocage administratif pourra être engagé.
Le texte, qui a été renvoyé au Sénat, s'est vu soulagé de ce délit de non-retrait (y compris pour le retrait en une heure des contenus terroristes ou pédopornographiques), qui aurait abouti à condamner un fournisseur ou site internet pour ne pas avoir retiré dans les temps les commentaires signalés.
En lieu et place d’une condamnation immédiate des sites fautifs, les Sénateurs souhaitent imposer aux sites / réseaux sociaux une obligation de moyens. Dans le cas où le site / réseau social ne ferait pas (techniquement) le nécessaire, le Conseil supérieur de l’Audiovisuel aura le pouvoir de sévir :
« Lorsque l’opérateur faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle‑ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut, dans les conditions prévues à l’article 42‑7 de la présente loi, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant prend en considération la gravité des manquements ainsi que, le cas échéant, leur caractère réitéré, sans pouvoir excéder 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu.
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut rendre publiques les mises en demeure et sanctions qu’il prononce. Il détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement. Il peut également ordonner leur insertion dans des publications, journaux et supports qu’il désigne, aux frais des opérateurs faisant l’objet de la mise en demeure ou de la sanction ».
La proposition de loi doit encore passer par la chambre des députés.
Source : Sénat
Loi contre la haine en ligne : le Sénat s'oppose à nouveau au délit de « non-retrait »
Et propose de donner au Conseil supérieur de l'Audiovisuel le pouvoir de sévir
Loi contre la haine en ligne : le Sénat s'oppose à nouveau au délit de « non-retrait »
Et propose de donner au Conseil supérieur de l'Audiovisuel le pouvoir de sévir
Le , par Stéphane le calme
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