L'initiative de la plus grande entreprise de médias sociaux du monde est le fruit de plusieurs rencontres successives entre le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, et le président français Emmanuel Macron, qui veut jouer un rôle de premier plan à l'échelle mondiale dans la réglementation du discours haineux et la diffusion de fausses informations en ligne. Les contenus illégaux (incitation à la haine, injure raciste, antisémite, homophobe, etc.) qui ont pris d’assaut les plateformes de réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook, Instagram constituent une préoccupation de premier ordre du président français. Depuis l’année dernière, son administration a confirmé une loi contre la haine sur Internet par la voix de la Secrétaire d'État auprès du Premier ministre.
Le secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O a précisé que c'est une décision spécifique à la France de la part du réseau social américain. « Ils nous ont annoncé que (...), eu égard aux discussions qu'ils ont eues avec nous, ils allaient transmettre les adresses IP pour les contenus de haine en ligne qui seraient demandées par la justice. Ce qui est une énorme nouvelle », a-t-il déclaré. Facebook s’engage à fournir aux juges français les données sur les auteurs des contenus haineux sur sa plateforme, y compris leurs adresses IP. Une adresse IP est un numéro d'identification qui est attribué de façon permanente ou provisoire à chaque périphérique relié à un réseau informatique qui utilise l'Internet Protocol.
Il faut noter également que Facebook fournissait déjà aux juges français, qui le demandaient officiellement, les adresses IP et autres données d'identification des suspects dans le cadre de sa collaboration avec la justice française en matière d'attaques terroristes et d'actes de violence, selon Reuters. Mais le mardi dernier, l'entreprise de médias sociaux a étendu cette coopération aux discours haineux. Facebook n’avait pas encore répondu à une demande de commentaires de Reuters au moment de la rédaction de son article.
Le ministre O a déclaré à Reuters lors d’une interview : « C'est une énorme nouvelle, cela signifie que le processus judiciaire pourra se dérouler normalement ». « C'est vraiment très important, ils ne le font que pour la France », a-t-il ajouté.
M. O, dont le père est sud-coréen, est l'un des premiers proches collaborateurs du président français Emmanuel Macron qui a joué un rôle déterminant dans la réflexion du président sur la Big Tech – les grandes entreprises technologiques comme Apple, Google, Amazon et Facebook, qui ont une influence démesurée – en tant que conseiller au palais de l'Elysée au cours des deux premières années de la présidence Macron. Depuis sa nomination au poste de ministre en mars, O a fait de la lutte contre le discours haineux en ligne une priorité clé grâce à des contacts réguliers avec les principaux dirigeants de Facebook, dont le fondateur Mark Zuckerberg.
Cette décision est un signal très fort dans le processus de lutte contre les discours haineux sur Internet en France. Sonia Cisse, avocate au cabinet d'avocats Linklaters, a déclaré :
« C'est un signal fort en termes de réglementation ». « Le discours haineux n'est plus considéré comme faisant partie de la liberté d'expression, il est maintenant au même niveau que le terrorisme », a-t-elle dit, en ajoutant que la décision de Facebook était une première mondiale. Mme Cisse a expliqué également que cette dernière initiative de Facebook positionne la France désormais clairement en tête de la réglementation des grands médias sociaux. Elle pense également que d'autres plateformes pourraient suivre l’exemple de Facebook.
Selon Reuters, le géant des réseaux sociaux s'était abstenu de communiquer les données d'identification des personnes soupçonnées d'incitation à la haine parce qu'il en était empêché en vertu des conventions juridiques franco-américaines et parce qu'il craignait que des pays dépourvus d'un pouvoir judiciaire indépendant puissent en abuser. Mais les discussions entre les responsables de Facebook et l’administration française sur la règlementation les géants de la technologie ont changé la donne. Pour rappel, la toute première réunion Zuckerberg-Macron s’est tenue l’année dernière suivie d'un rapport sur la réglementation des technologies le mois dernier que le fondateur de Facebook a considéré comme « encourageant ».
En effet, après sa dernière réunion avec le président Macron le 10 mai dernier, le PDG de Facebook s'est dit « optimiste quant à la législation » que les pouvoirs publics français envisagent sur les réseaux sociaux. « J'ai bon espoir qu'elle pourra devenir un modèle » utilisé « dans l'Union européenne », a-t-il ajouté. Il a déclaré ensuite aux journalistes que « Si un plus grand nombre de pays peuvent suivre l'exemple de ce que votre gouvernement a fait ici, je pense que ce sera probablement un résultat plus positif pour le monde que certaines alternatives ».
La loi française sur la haine, qui donnerait au nouveau régulateur de prendre jusqu'à 4 % des revenus globaux des entreprises de haute technologie comme Facebook Twitter et autres si elles ne se dépêchent pas pour retirer les contenus haineux de leur réseau, est débattue en ce moment au Parlement français, où le parti au pouvoir de Macron détient une confortable majorité.
Le ministre O s'est également dit ouvert à l'idée de voir les grandes entreprises américaines s'emparer des startups françaises, malgré les récentes mesures prises par le gouvernement Macron pour renforcer les règles anti-OPA afin de protéger les entreprises stratégiques du pays, d’après Reuters. Une offre publique d'achat (OPA) consiste à proposer aux actionnaires d'une société cotée, l'acquisition de leurs titres pendant une période donnée et pour un prix fixé.
« Mon seul but est de stimuler la création d'un grand nombre d'entreprises », a dit M. O avant d’ajouter que « Je n'ai aucun problème avec le fait que certaines d'entre elles sont achetées par des sociétés américaines, tant qu'elles n'ont pas la technologie critique ».
Par ailleurs, le ministre hésite à appuyer l’idée de démanteler des entreprises comme Facebook ou Google, dont la taille, le poids sur Internet et la puissance financière ont suscité une série d’appels à leur dissolution. Facebook a été qualifié de monopole des médias sociaux par le cofondateur Chris Hughes, et a appelé son démantèlement : « le pouvoir de Mark Zuckerberg est sans précédent et anti-américain », a-t-il dit.
Plusieurs autres appels ont été lancés dont celui de la sénatrice américaine et candidate aux élections présidentielles américaines 2020. Elle a promis de démanteler les géants Amazon, Google et Facebook si elle est élue présidente des Etats-Unis.
« Nous ne pouvons pas imposer des obligations très strictes aux entreprises occidentales et les démanteler parce qu'elles sont très grandes, et ne pas faire la même chose avec les entreprises chinoises qui entrent sur le marché occidental », a dit le ministre O, faisant référence à des groupes comme Alibaba et Tencent.
Une chose est sûre, si l’initiative de Facebook de fournir les données sur les auteurs de la haine en ligne aux autorités juridiques françaises est appliquée effectivement, elle pourrait contribuer à réduire ces genres de contenus sur sa plateforme de réseau social et sur celles des autres entreprises si elles emboitent le pas à Facebook. Mais l’initiative ne susciterait-elle pas de nouvelles polémiques, par exemple, sur la vie privée ?
Source : Reuters
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