
face à l'explosion des usages chez les mineurs pour contourner la loi
La lutte pour la sécurité en ligne des enfants a pris un nouveau tournant, alors que des ministres sont sommés de s'attaquer à un problème croissant : l'utilisation des réseaux privés virtuels (VPN) par les mineurs pour contourner les mesures de vérification de l'âge et accéder à des contenus pornographiques. Cet appel à l'action intervient alors que les nouvelles lois sur la sécurité en ligne, censées protéger la jeunesse, semblent déjà mises à mal par la rapidité de l'évolution technologique.
Depuis l’entrée en vigueur le 25 juillet 2025 de la Online Safety Act, le Royaume-Uni est devenu un terrain d’expérimentation majeur pour les politiques de protection des mineurs face aux dangers du numérique. Cette loi, présentée par le gouvernement comme une avancée décisive en matière de régulation des contenus en ligne, impose notamment aux sites pornographiques de vérifier l’âge de leurs utilisateurs grâce à des systèmes d’identification stricts. Mais une faille inattendue remet déjà en question son efficacité : l’usage massif de VPN par les jeunes pour contourner les restrictions.
Il faut dire que ce n'est pas une surprise. Les experts s’accordaient sur un point : le système serait contourné. Les ados les plus technophiles savent déjà utiliser des VPN, des DNS chiffrés (DNS-over-HTTPS) ou même des navigateurs alternatifs pour simuler une connexion depuis l’étranger, où les règles ne s’appliquent pas. Cela pourrait favoriser l’utilisation de plateformes plus dangereuses, non régulées, voire illégales, hébergées hors du Royaume-Uni. Autrement dit, la loi pourrait déplacer le problème sans vraiment le résoudre.
La Online Safety Act : une promesse ambitieuse
Adoptée après des années de débats, la Online Safety Act vise à protéger les internautes, et en particulier les mineurs, de l’exposition à des contenus jugés nocifs : pornographie, incitation au suicide, troubles alimentaires, discours de haine, etc.
Finie l'époque des simples cases à cocher où l'utilisateur déclarait avoir plus de 18 ans. L’Ofcom, le régulateur britannique des communications, est chargé de veiller à l’application de la loi, avec la possibilité d’imposer des amendes colossales ou de bloquer purement et simplement les sites récalcitrants.
Aussi, l'Ofcom exige désormais des méthodes de vérification d'âge « hautement efficaces ». Les sites web ont une certaine liberté quant aux technologies qu'ils choisissent d'implémenter, mais elles doivent être robustes. Parmi les méthodes suggérées et en cours d'adoption, on trouve :
- Vérification par carte de crédit/débit : Une vérification simple mais efficace, car les cartes de crédit ne sont généralement délivrées qu'aux adultes.
- Estimation faciale de l'âge : Une technologie basée sur l'IA qui analyse une photo ou une vidéo en direct pour estimer l'âge de l'utilisateur, sans identifier la personne ni stocker de données personnelles.
- Services d'identité numérique : Des portefeuilles d'identité numérique qui peuvent stocker et partager en toute sécurité des preuves d'âge vérifiées.
- Vérification via les opérateurs de réseaux mobiles : Confirmation que le numéro de téléphone mobile de l'utilisateur n'est pas soumis à des filtres d'âge.
- Vérification par pièce d'identité avec photo : Téléchargement d'une pièce d'identité (passeport, permis de conduire) qui est comparée à un selfie pour confirmer l'identité et l'âge.
- Vérification par services bancaires ou adresses e-mail : Accès sécurisé à des informations bancaires ou analyse de l'utilisation de l'adresse e-mail sur d'autres services pour estimer l'âge.
L’objectif affiché : réduire drastiquement l’exposition précoce des enfants à des contenus pornographiques, dont de nombreuses études montrent qu’ils peuvent altérer la perception du consentement, la santé mentale ou encore les comportements sexuels.
Un succès initial… qui masque une fuite vers les VPN
Les premiers chiffres semblaient confirmer le bien-fondé de la loi. Le site Pornhub a vu son trafic britannique chuter de près de 47 % dans les deux semaines qui ont suivi la mise en place des restrictions. D’autres plateformes pour adultes ont rapporté des baisses similaires. Mais rapidement, les experts ont relevé une explosion de l’usage des VPN. Ces logiciels, qui permettent de masquer son adresse IP et de simuler une connexion depuis un autre pays, se sont imposés comme l’outil privilégié pour contourner les barrières nationales.
- Proton VPN a vu ses inscriptions grimper de plus de 1 400 % en quelques heures au Royaume-Uni, propulsant l'application au sommet de l’App Store britannique.
- NordVPN a enregistré une hausse de 1 000 % de ses ventes quotidiennes.
- Sur Google Trends, les recherches associées aux mots-clés tels que Proton VPN ont connu un pic.
- Les applications VPN trustent désormais les premières places du classement des téléchargements sur l’App Store.
En d’autres termes, la loi semble avoir déplacé le problème plutôt que de le résoudre.
« En essayant d'empêcher les enfants de voir des contenus préjudiciables en ligne, le gouvernement a peut-être poussé des centaines de milliers de personnes à adopter des outils qui rendent l'interception légale presque impossible », explique Graeme Stewart, responsable du secteur public chez Check Point. Selon lui, le gouvernement externalise l'application de la loi à des tiers qui ne rendent pas de comptes, ce qui n'offre aucune garantie de sécurité.
Ce comportement traduit une réalité simple : les internautes britanniques refusent de téléverser leurs pièces d’identité sur des plateformes de divertissement ou de médias sociaux. L'idée d'une interdiction totale des VPN a ensuite été évoquée, mais dans quelle mesure cela serait-il possible ? Le secrétaire à la technologie Peter Kyle a déclaré à Sky News qu'il va examiner « très attentivement » la manière dont les services VPN sont utilisés.
L’alerte de la commissaire à l'enfance
Face à ce constat, Dame Rachel de Souza, commissaire à l'enfance pour l’Angleterre, a lancé un avertissement clair à la BBC Newsnight : « Nous ne pouvons pas laisser les VPN devenir la porte d’entrée privilégiée des mineurs vers les contenus pornographiques. Cette faille doit être comblée ». Selon elle, le gouvernement doit empêcher les enfants d'utiliser des réseaux privés virtuels (VPN) pour contourner les contrôles d'âge sur les sites pornographiques.
Elle plaide pour une extension de la Online Safety Act : les fournisseurs de VPN devraient eux aussi être contraints d’intégrer des mécanismes de vérification d’âge, ou à défaut, limiter l’accès de leurs services aux mineurs. Selon elle, ignorer cette question reviendrait à affaiblir toute la crédibilité de la loi et à exposer une nouvelle génération d’adolescents à des contenus potentiellement traumatisants.
Les VPN permettent de masquer votre emplacement en ligne, vous permettant ainsi d'utiliser Internet comme si vous vous trouviez dans un autre pays. Cela signifie qu'ils peuvent être utilisés pour contourner les exigences de la loi sur la sécurité en ligne, qui oblige les plateformes proposant certains contenus pour adultes à vérifier l'âge des utilisateurs.
Un porte-parole du gouvernement a déclaré que les VPN sont des outils légaux pour les adultes et qu'il n'est pas prévu de les interdire.
Une proportion alarmante d'enfants a eu accès a de la pornographie, selon un rapport
La recommandation du commissaire à l'enfance figure dans un nouveau rapport qui révèle que la proportion d'enfants déclarant avoir vu du contenu pornographique en ligne a augmenté au cours des deux dernières années. Le rapport a également révélé que davantage d'enfants tombent accidentellement sur du contenu pornographique, certains des 16-21 ans interrogés déclarant en avoir vu « à l'âge de six ans ou moins ».
Plus de la moitié des personnes interrogées avaient vu des scènes d'étranglement lorsqu'elles étaient enfants, ce qui a incité Dame Rachel à demander également au gouvernement d'interdire leur représentation.
44 % des personnes interrogées avaient également vu, lorsqu'elles étaient enfants, des scènes pornographiques représentant le viol d'une personne endormie.
Les données ont été recueillies avant les modifications apportées à la loi sur la sécurité en ligne en juillet, qui ont introduit des outils de vérification de l'âge pour la pornographie.
Dame Rachel a qualifié ces résultats de « désastreux ». « Cela nous montre à quel point le problème réside dans la conception des plateformes, des algorithmes et des systèmes de recommandation qui exposent des contenus préjudiciables à des enfants qui ne les ont jamais recherchés », a déclaré la commissaire, appelant à ce que le rapport serve de « ligne rouge ».
Liberté individuelle contre protection des mineurs
La question des VPN divise profondément la société britannique.
Les partisans d’un contrôle renforcé estiment qu’il est logique de contraindre les fournisseurs de VPN à coopérer, puisque leurs services contournent délibérément une loi adoptée démocratiquement. Les défenseurs des libertés numériques y voient une dérive inquiétante : les VPN sont utilisés par des millions d’adultes pour protéger leur vie privée, accéder à des services de streaming ou se connecter de façon sécurisée en entreprise. Les restreindre reviendrait, selon eux, à mettre en péril un outil devenu essentiel dans l’économie numérique moderne.
Le gouvernement tente de trouver un équilibre : Peter Kyle, ministre de la Technologie, exclut d’interdire les VPN mais avertit que les entreprises qui en faciliteraient l’usage par des enfants pourraient être sanctionnées sévèrement.
Une controverse politique
La question prend également une tournure politique. Nigel Farage, leader du parti Reform UK, a qualifié la Online Safety Act de « loi liberticide » et prévient qu’elle pousse les jeunes vers le dark web ou des pratiques plus risquées. En retour, Peter Kyle a accusé Farage de « se ranger du côté des prédateurs », une déclaration qui a déclenché une violente polémique à Westminster et sur les réseaux sociaux.
Ce débat illustre les tensions entre protection de l’enfance, libertés individuelles et enjeux électoraux : le contrôle de l’espace numérique est devenu un sujet brûlant au Royaume-Uni.
Une situation qui gagne du terrain à l'international
Cette situation n'est pas sans rappeler des précédents observés dans d'autres pays, à l'instar de la France. Cette dernière a précédé le Royaume-Uni sur ce terrain. En juin 2025, le gouvernement français a mis en place une réglementation similaire, imposant une vérification d’âge obligatoire sur les sites pornographiques. Résultat : Pornhub, YouPorn et RedTube ont désactivé l’accès à leurs sites pour les utilisateurs français début juin, expliquant qu’ils ne souhaitaient pas exposer les utilisateurs à des méthodes intrusives.
Ce blocage a déclenché une explosion de +1 000 % des inscriptions à Proton VPN dans les 30 minutes suivant la coupure. Le phénomène fut si massif qu’il a dépassé les pics observés lors de la crise TikTok aux États-Unis ou pendant les scandales de censure en Russie. Proton VPN avait précédemment signalé une augmentation de 490 % des inscriptions quotidiennes à la mi-janvier, lorsque TikTok avait brièvement été mis hors ligne avant une éventuelle interdiction aux États-Unis. Cela suggère une tendance mondiale où les utilisateurs réagissent aux tentatives de réglementation de l'accès au contenu en ligne par des outils de contournement numérique.

Le Royaume-Uni n’est donc pas seul dans cette bataille :
- France : la loi prévoit aussi un contrôle d’âge obligatoire pour les sites pornographiques, mais sa mise en œuvre technique reste complexe et régulièrement contestée devant les tribunaux.
- Allemagne : des solutions existent via des systèmes d’identification numériques, mais elles sont jugées lourdes et peu respectueuses de la vie privée.
- États-Unis : plusieurs États (Texas, Louisiane, Utah) ont adopté des lois similaires, mais elles font face à une opposition féroce de l’industrie du porno et à des recours judiciaires.
Partout, la même question revient : comment protéger les mineurs sans basculer dans une surveillance généralisée des adultes ?
Conclusion : une course permanente entre législateurs et technologies
L’affaire des VPN révèle un constat implacable : chaque nouvelle loi visant à restreindre l’accès à certains contenus se heurte rapidement à des innovations techniques permettant de la contourner. Les enfants, particulièrement à l’aise avec le numérique, se retrouvent souvent parmi les premiers à exploiter ces failles. Pour le Royaume-Uni, la question n’est plus seulement de protéger les mineurs, mais aussi de définir quelle place accorder à la liberté numérique des adultes dans une société où la protection de l’enfance demeure une priorité politique et morale.
Source : rapport
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