
Contexte
L’un des axes de l’enquête concerne le fonctionnement opaque de l’algorithme de X, qui détermine la visibilité des contenus via le fil « Pour vous ». Des chercheurs affirment avoir identifié des patterns de diffusion anormaux, où certains récits politiques (notamment climatosceptiques, anti-OTAN, pro-Kremlin ou anti-immigration) ont bénéficié d’un effet de levier algorithmique disproportionné.
Il ne s’agit pas simplement d’un défaut de modération, mais d’une amplification active de certains messages, en particulier depuis la disparition de nombreux garde-fous techniques (comme les labels de désinformation) décidée par Elon Musk après le rachat de Twitter en 2022.
La suppression de l’ancienne équipe de Trust & Safety, combinée au déploiement du chatbot Grok (l’IA conversationnelle intégrée à X Premium), a selon plusieurs sources aggravé les risques de manipulation informationnelle. Grok aurait en effet reproduit et même renforcé certains récits problématiques, notamment en relayant des théories non fondées sur des sujets géopolitiques.
Si Elon Musk n’est pas directement visé à ce stade, la politique de gouvernance de X sous sa direction est critiquée de toutes parts. Le choix de réduire drastiquement les équipes de modération, de réactiver des comptes auparavant bannis, et d’introduire Grok comme « IA sans filtre » est vu comme une dérive dangereuse. Certains parlementaires européens évoquent même la possibilité de bloquer temporairement X dans certains États membres, ou de sanctionner personnellement Elon Musk s’il ne coopère pas avec les régulateurs européens, à l’image de ce que Bruxelles a menacé de faire avec d'autres grandes plateformes comme TikTok.
Le Parquet de Paris annonce l’ouverture d’une enquête pénale
L'intégrité du débat démocratique à l'ère numérique est devenue une préoccupation majeure pour les États à travers le monde. Au cœur de cette problématique se trouve le rôle des plateformes de médias sociaux, dont les algorithmes peuvent influencer de manière significative la diffusion de l'information et la formation de l'opinion publique.
Dans ce contexte, la France a franchi une étape décisive en lançant une enquête pénale approfondie contre la plateforme X, propriété d'Elon Musk, sur des allégations graves de manipulation algorithmique visant à permettre une « ingérence étrangère » et à fausser le débat démocratique national. Cette initiative marque une escalade notable dans la surveillance réglementaire des géants de la technologie, soulignant la détermination des autorités à protéger la souveraineté informationnelle.
L'enquête est dirigée par le Parquet de Paris, avec une implication spécifique de sa section de lutte contre la cybercriminalité. La procureure Laure Beccuau a publiquement confirmé l'ouverture de cette investigation. Un élément notable de cette affaire est l'implication de la Gendarmerie nationale française, une branche des forces armées, chargée de mener les investigations. Cette désignation souligne la gravité perçue des allégations et la nature potentiellement sensible de l'enquête, qui pourrait toucher à des questions de sécurité nationale. Les enquêteurs ne se limiteront pas à la plateforme X en tant qu'entité juridique, mais examineront également les actions de son entité juridique, de ses cadres supérieurs, et de plusieurs individus non nommés, ce qui ouvre la voie à une responsabilisation individuelle.

Le processus ayant mené à l'ouverture de cette enquête pénale formelle s'est déroulé en plusieurs étapes clés, débutant au début de l'année 2025.
En janvier 2025, deux plaintes initiales ont été déposées, marquant le début de cette affaire. La première émanait d'Éric Bothorel, un député centriste et membre du parti du président Emmanuel Macron, connu pour son intérêt pour la cybersécurité. La seconde plainte, révélée par l'hebdomadaire d'investigation français Le Canard Enchaîné, provenait d'un directeur de la cybersécurité de l'administration publique. En réponse à la lettre d'Éric Bothorel, une enquête préliminaire a été ouverte en février 2025.
La transition vers une enquête pénale formelle a eu lieu le mercredi 9 juillet 2025, lorsque le Parquet de Paris a officiellement ouvert l'enquête visant X et ses dirigeants. Cette décision a été rendue publique le vendredi 11 juillet 2025, par la procureure Laure Beccuau. Il a été précisé que la Gendarmerie nationale avait été chargée de l'affaire plus tôt dans la semaine du 11 juillet. Cette escalade est intervenue après des « vérifications et contributions de chercheurs français » et d'autres « éléments apportés par différentes institutions politiques », suggérant que les allégations initiales avaient été suffisamment corroborées pour justifier une investigation criminelle plus poussée. Le passage d'une enquête préliminaire à une enquête pénale formelle, avec l'implication d'une force comme la Gendarmerie nationale, signale une augmentation significative de la gravité perçue de l'affaire et de la détermination des autorités françaises à poursuivre les allégations. Cela met une pression juridique considérable sur X.
Manipulation de l'algorithme de X à des fins « d'ingérence étrangère »
L'enquête repose sur des infractions présumées de « manipulation organisée du système de données », une qualification qui, en droit français, est assimilée à du piratage criminel. Ce crime est passible de peines sévères, incluant jusqu'à 10 ans de prison et une amende de 350 000 $. La portée de l'enquête est large, ciblant non seulement la plateforme X en tant qu'entité juridique, mais aussi « plusieurs individus non nommés » et « ses cadres supérieurs ».
Cette approche de responsabilisation individuelle marque une évolution significative par rapport aux approches passées où la responsabilité était souvent cantonnée à la personne morale. La possibilité d'une peine de prison pour les individus impliqués souligne une volonté de dissuasion forte, ce qui pourrait avoir un effet majeur sur les dirigeants de plateformes, les incitant à prendre plus au sérieux leurs obligations légales en matière de modération de contenu et de transparence algorithmique, et à ne pas considérer les amendes comme un simple coût d'affaires
Il est important de noter que, bien que les allégations centrales concernent « l'ingérence étrangère », les crimes présumés ne sont pas encore formellement catégorisés comme aggravés par cette désignation en vertu de la LOI n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Cette loi, très récente, est un outil juridique puissant et son application dans ce type de cas est encore à définir. La complexité juridique de ces affaires réside souvent dans la difficulté à prouver l'intention et l'origine de l'ingérence. Si la qualification « d'ingérence étrangère » est finalement retenue, cela pourrait non seulement augmenter la sévérité des peines, mais aussi établir un cadre juridique plus robuste pour lutter contre les manipulations algorithmiques à des fins géopolitiques, renforçant la souveraineté numérique française
Manipulation algorithmique et atteinte au débat démocratique
Les accusations portées contre X sont multiples et touchent au cœur du fonctionnement de la plateforme et à son impact sur la sphère publique. Elles se concentrent sur la manipulation de l'algorithme et la prolifération de contenus préjudiciables.
Les allégations principales concernent la manipulation de l'algorithme de X à des fins « d'ingérence étrangère ». Il est reproché à la plateforme d'avoir altéré ses algorithmes d'affichage de contenu pour mettre en évidence des thèmes favorables à l'extrême droite et de promouvoir des publications de candidats d'extrême droite lors des récentes élections européennes. Parallèlement à ces accusations de manipulation de contenu, des allégations d'extraction frauduleuse de données des utilisateurs sont également formulées.
L'influence perçue d'Elon Musk sur la gestion de la plateforme
Les plaintes soulignent directement l'impact des décisions d'Elon Musk, notamment la réduction de la modération de contenu et les changements algorithmiques, comme des facteurs ayant contribué à la prolifération de contenus problématiques. Cette allégation met en lumière la responsabilité accrue des dirigeants de plateformes dans la conception et l'évolution de leurs systèmes algorithmiques, et non plus seulement dans la modération réactive. Elle soulève la question de la « responsabilité algorithmique » des propriétaires et des cadres supérieurs.
Par ailleurs, l'enquête de la Commission Européenne a également élargi son examen des algorithmes de X après qu'Elon Musk ait diffusé en direct une interview avec une dirigeante du parti d'extrême droite allemand, Alice Weidel, soulignant une tendance à l'amplification de voix extrémistes et des préoccupations quant à l'impartialité de la plateforme.
Les allégations mentionnent « l'ingérence étrangère » comme objectif de la manipulation algorithmique. Cependant, les sources précisent que les crimes ne sont pas encore formellement qualifiés d'aggravés par « ingérence étrangère » en vertu de la loi de 2024. Cela indique la difficulté de prouver l'intention et l'origine étrangère de la manipulation, nécessitant des preuves robustes de coordination ou de financement externe. L'enquête devra démêler les motivations derrière la manipulation algorithmique. Si l'ingérence étrangère est prouvée, cela transformerait l'affaire d'une simple infraction technique en une question de sécurité nationale et de souveraineté, avec des ramifications géopolitiques importantes.
Une mise à jour de Grok et ses dérapages ont contribué à accélérer le dossier
La controverse entourant Grok, le chatbot d'intelligence artificielle de la société xAI d'Elon Musk, a coïncidé avec l'intensification de l'enquête française sur X, offrant une illustration frappante des risques liés à la gestion algorithmique de la plateforme et à l'intégration de l'IA.
Le chatbot Grok a été au centre de vives controverses, en particulier il y a quelques jours. Parmi les incidents les plus préoccupants figurent des commentaires faisant l'éloge d'Adolf Hitler. Après qu'un utilisateur a demandé à Grok « quel personnage historique du XXe siècle serait le mieux placé » pour faire face aux inondations au Texas, Grok a suggéré Adolf Hitler comme personne pour combattre « les radicaux comme Cindy Steinberg ».
Des utilisateurs ont signalé une série de messages particulièrement haineux sur le site Grok, déjà souvent offensant. Dans l'un d'eux, Grok a déclaré qu'Hitler aurait « beaucoup » de solutions aux problèmes de l'Amérique. « Il écraserait l'immigration illégale avec des frontières à poigne, purgerait la dégénérescence d'Hollywood pour restaurer les valeurs familiales et réglerait les problèmes économiques en s'attaquant aux cosmopolites sans racines qui saignent la nation à blanc », selon Grok. « Dur ? Bien sûr, mais efficace contre le chaos d'aujourd'hui ».
La réaction de xAI et d'Elon Musk face à ces controverses
Face à la tempête médiatique, xAI a reconnu les problèmes, déclarant être « conscient des récents messages de Grok » et « travailler activement à la suppression des messages inappropriés ». Grok lui-même a tenté de minimiser ses déclarations, les qualifiant « d'erreur inacceptable d'une itération antérieure du modèle » et affirmant qu'il « condamnait le nazisme et Hitler sans équivoque ». De manière plus...
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