
ce verdict met en lumière les limites de la législation actuelle face aux avancées technologiques
Une cour d’appel fédérale a récemment statué que l’art créé de manière autonome par une intelligence artificielle (IA) ne pouvait bénéficier d’une protection par le droit d’auteur, affirmant que cette dernière nécessite au moins une intervention créative humaine. Cette décision s’inscrit dans un débat plus large sur la nature de la créativité et la paternité des œuvres à l’ère numérique. Elle rappelle le célèbre cas du singe photographe, où un macaque avait pris un selfie à l’aide de l’appareil d’un photographe. À l’époque, la justice avait conclu que seules les œuvres créées par des humains pouvaient être protégées par le droit d’auteur, excluant ainsi les productions autonomes d’animaux ou de machines. De manière similaire, la cour d’appel a estimé que le droit d’auteur suppose une paternité humaine et ne peut s’appliquer à une machine, quelle que soit la sophistication de son algorithme.
Ce verdict soulève des questions essentielles. D’une part, il renforce l’idée que la créativité et l’originalité protégées par le droit d’auteur impliquent une intention humaine, distinguant ainsi fondamentalement les productions de l’IA des œuvres humaines. D’autre part, il met en lumière les limites de la législation actuelle face aux avancées technologiques. Comment définir la frontière entre assistance et autonomie dans la création assistée par IA ? Si une IA génère une œuvre sur instruction humaine, son utilisateur doit-il être considéré comme l’auteur, ou cette production échappe-t-elle au cadre du droit d’auteur ? Ces interrogations dépassent le simple cadre juridique pour toucher des dimensions philosophiques et technologiques.
Ces débats trouvent un écho dans plusieurs affaires récentes. Par exemple, en 2023, Stephen Thaler a affirmé que son système informatique, la Creativity Machine, avait généré de manière autonome une œuvre d’art visuelle. L’Office américain du droit d’auteur (USCO) a rejeté sa demande, invoquant l’absence de paternité humaine, une condition essentielle pour l’enregistrement d’un droit d’auteur aux États-Unis. Cette décision a été confirmée par le tribunal fédéral du district de Columbia. Thaler avait pourtant précisé dans sa demande que l’œuvre avait été « créée de manière autonome par un algorithme informatique fonctionnant sur une machine ». Il a ensuite tenté de revendiquer le droit d’auteur en tant que travail réalisé pour le compte d’autrui, arguant que le propriétaire de la Creativity Machine devait être reconnu comme titulaire des droits. Cependant, ses multiples recours ont été rejetés, et la juge Beryl A. Howell a confirmé que la question centrale était de déterminer si une œuvre créée sans intervention humaine pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur. Elle a souligné que Thaler avait axé son argumentation sur le degré d’intervention humaine, mais que la demande initiale reposait sur l’affirmation que l’œuvre avait été générée de manière entièrement autonome.
Parallèlement, deux auteurs spécialisés dans la non-fiction, Nicholas Basbanes et Nicholas Gage, ont engagé une action en justice contre Microsoft et OpenAI, les accusant d’avoir utilisé leurs œuvres protégées par le droit d’auteur pour entraîner des systèmes d’IA, notamment ChatGPT. Déposée en janvier 2024 devant le tribunal fédéral de Manhattan, cette plainte collective survient peu après celle du New York Times, qui poursuit également Microsoft et OpenAI pour violation des droits d’auteur. Le journal reproche aux entreprises d’avoir utilisé son contenu pour entraîner leurs modèles de langage. Microsoft, en tant qu’investisseur et partenaire technologique d’OpenAI, est également visé par ces actions. Basbanes et Gage cherchent à représenter une catégorie plus large d’écrivains dont les œuvres auraient été « systématiquement exploitées ». Ils affirment que les défendeurs ont reconnu publiquement, suite aux poursuites du New York Times, que les titulaires de droits d’auteur devaient être rémunérés pour l’utilisation de leurs œuvres. Le New York Times réclame quant à lui plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts.
Ces affaires illustrent les défis posés par l’évolution technologique au cadre juridique existant. Elles soulignent la nécessité de clarifier les règles encadrant la création assistée par IA et de repenser la notion de paternité dans un contexte où les machines jouent un rôle croissant dans le processus créatif. Alors que les tribunaux continuent de statuer sur ces questions, il est probable que ces débats influenceront non seulement le droit d’auteur, mais aussi notre compréhension de la créativité à l’ère de l’intelligence artificielle.
Une œuvre produite de manière autonome par une IA peut-elle être protégée par le droit d’auteur ?
La juge Howell a affirmé que, bien que le droit d’auteur soit conçu pour évoluer avec son époque, la contribution humaine reste une condition essentielle à son application. Citant une décision de la Cour suprême des États-Unis, elle a expliqué qu’un appareil photo ne capture une scène qu’après une « conception mentale » de la part du photographe, matérialisée par un ensemble de choix et de décisions. Dans cet arrêt, portant sur une photographie d’Oscar Wilde, la Cour suprême avait estimé que l’image résultait de l’invention intellectuelle du photographe, le produit final étant attribuable à l’humain et non à l’appareil.
La loi américaine sur le droit d’auteur de 1976 stipule que : « La protection du droit d’auteur s’applique aux œuvres originales de l’auteur fixées sur un support d’expression tangible, connu ou développé ultérieurement, permettant leur perception. »

Le droit d’auteur vise traditionnellement à protéger les créateurs humains et à leur assurer une juste rémunération. Cependant, avec l’essor des intelligences artificielles capables de générer des œuvres d’art, de la musique ou du texte, la définition même de la création est remise en question. La loi devra sans doute évoluer pour répondre à ces nouvelles réalités, en trouvant un équilibre entre la reconnaissance de l’apport humain et la prise en compte des capacités de l’IA. En fin de compte, cette décision ne clôt pas le débat mais marque une étape clé dans la réflexion sur le statut juridique des œuvres générées par intelligence artificielle. Elle illustre la nécessité d’une adaptation des cadres législatifs et éthiques à une ère où la distinction entre l’humain et la machine devient de plus en plus floue.
Faut-il redéfinir la notion de création face au droit d’auteur et à la technologie ?
La question de l’attribution du droit d’auteur aux œuvres générées par l’intelligence artificielle soulève des enjeux fondamentaux sur la définition même de la création et de la paternité artistique. L’un des principaux points de friction réside dans la nécessité d’une intervention humaine significative pour qu’une œuvre soit considérée comme protégeable.
D’un point de vue juridique, la comparaison avec l’affaire du selfie du singe illustre bien la problématique actuelle : si une œuvre est créée sans intervention humaine directe, elle tombe dans le domaine public. Toutefois, cette analogie trouve rapidement ses limites face aux technologies d’IA. Contrairement à un animal qui agit de manière fortuite, une intelligence artificielle est conçue, paramétrée et parfois dirigée par un humain. Dès lors, la véritable question est de savoir à partir de quel niveau d’implication humaine un droit d’auteur peut être revendiqué.
L’exemple de la photographie apporte un éclairage intéressant. Un appareil photo est un outil au service de la créativité humaine, et les décisions du photographe (cadrage, lumière, moment du déclenchement) sont déterminantes pour l’œuvre finale. En revanche, les systèmes d’IA, en particulier ceux basés sur des modèles génératifs, fonctionnent sur des principes différents. Lorsqu’un utilisateur se contente de saisir une instruction textuelle pour générer une image, son rôle est bien plus passif que celui d’un photographe. Pourtant, si ce même utilisateur entraîne son propre modèle d’IA, affine les paramètres et influence activement le résultat, sa contribution devient plus proche de celle d’un artiste numérique utilisant un logiciel avancé.
Un autre enjeu majeur concerne l’évolution des outils numériques. La photographie computationnelle, omniprésente dans les smartphones modernes, modifie considérablement les images grâce à des algorithmes d’amélioration. Si l’on suit une interprétation stricte du droit d’auteur, ces modifications automatiques ne remettent pas en cause la paternité du photographe. Pourtant, lorsque l’intervention logicielle devient dominante, où trace-t-on la frontière entre assistance technologique et création autonome ?
Enfin, il est essentiel de prendre en compte les implications économiques et éthiques de cette problématique. Accorder un droit d’auteur à des œuvres générées par l’IA reviendrait à reconnaître un statut juridique à une machine, une idée qui semble difficilement défendable en l’état actuel du droit. À l’inverse, refuser toute protection peut poser problème pour les entreprises et créateurs investissant dans le développement d’outils d’IA. Une solution intermédiaire pourrait être de considérer ces œuvres comme des « œuvres dérivées » appartenant à la personne ayant paramétré ou utilisé l’IA, à condition qu’une implication créative suffisante puisse être démontrée.
En somme, la question du droit d’auteur appliqué à l’IA est loin d’être tranchée. Si la législation actuelle privilégie encore une approche fondée sur la paternité humaine, les avancées technologiques nous forcent à repenser cette notion. Plutôt que d’adopter une vision binaire – soit reconnaître un droit d’auteur aux IA, soit l’exclure totalement – il semble pertinent d’explorer des modèles hybrides tenant compte du degré d’intervention humaine dans le processus créatif.
Source : United States Court of Appeals



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