Cependant, cette défense masque une réalité plus complexe : la capacité des géants de la tech à verrouiller des écosystèmes entiers grâce à des pratiques commerciales agressives et à un contrôle stratégique des brevets. Derrière l’argument de l’innovation, c’est surtout la préservation d’un monopole qui est en jeu, au détriment d’une concurrence équitable et de la diversité technologique.
En 2018, la Commission européenne a imposé à Google une amende de 4,34 milliards d'euros pour violation des règles de concurrence de l'UE. Depuis 2011, Google a imposé des restrictions illégales aux fabricants d'appareils Android et aux opérateurs de réseaux mobiles pour renforcer sa position dominante sur le marché de la recherche internet. Google a eu 90 jours, à partir de l'annonce du 18 juillet 2018, pour mettre fin à ces pratiques, sous peine d'astreintes pouvant atteindre 5 % du chiffre d'affaires journalier moyen mondial de sa société mère, Alphabet.
Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence à l'époque, a déclaré : « L'internet mobile représente aujourd'hui plus de la moitié du trafic mondial et a transformé la vie de millions d'Européens. Cette affaire concerne trois types de restrictions imposées par Google aux fabricants d'appareils Android et aux opérateurs de réseaux pour diriger le trafic vers son moteur de recherche. Google utilise ainsi Android pour renforcer la position dominante de son moteur de recherche. Ces pratiques ont empêché ses concurrents d'innover et de concurrencer sur leurs mérites, privant les consommateurs européens des avantages d'une concurrence effective sur le marché des appareils mobiles. Cette pratique est illégale selon les règles de l'UE en matière de pratiques anticoncurrentielles. »
Google a affirmé devant la Cour de justice de l’Union européenne, le mardi 28 janvier, que l’enquête menée par la Commission européenne, qui a conduit à une amende de 4,3 milliards d’euros (soit environ 4,5 milliards de dollars), constituait une sanction contre son innovation. Cette déclaration a été faite par Alfonso Lamadrid, avocat de l’entreprise, lors d’une audience d’appel visant à annuler cette amende, la plus élevée jamais imposée par l’UE dans une affaire antitrust, selon Bloomberg.
L’UE persiste : Google a-t-il faussé le marché du mobile ?
Google aurait également versé des incitations financières à certains fabricants et opérateurs en échange de la préinstallation de Google Search et aurait interdit l’utilisation de versions alternatives d’Android non approuvées par elle.
Devant le tribunal, les représentants de l’UE ont défendu leur décision, arguant que Google avait adopté une approche coercitive vis-à-vis des fabricants de téléphones. L’avocat du régulateur européen, Fernando Castillo de la Torre, a souligné que Google exerçait un « contrôle quasi total sur l’écosystème Android ».
Un précédent recours contre cette amende avait conduit à une réduction de 5 % en septembre 2022. À l’époque, le Tribunal avait confirmé que Google avait imposé des restrictions illégales aux fabricants et aux opérateurs pour renforcer la domination de son moteur de recherche, tout en ajustant légèrement le montant de la sanction, la portant à 4,125 milliards d’euros.
Bloomberg rapporte qu’une décision finale est attendue dans les mois à venir. Par ailleurs, l’ancien président américain Donald Trump avait critiqué les sanctions européennes contre les géants de la tech, les qualifiant de « forme d’imposition ».
Innovation ou monopole ? Google joue la carte de la victimisation
L'affirmation de Google selon laquelle l'amende record de 4,5 milliards de dollars infligée par l'Union européenne aurait « puni son innovation » mérite d'être analysée avec recul et esprit critique. Si l'innovation est souvent mise en avant comme un moteur de progrès économique et technologique, elle ne saurait justifier des pratiques anticoncurrentielles qui entravent le choix des consommateurs et empêchent une concurrence équitable sur le marché du numérique.
D'une part, il est indéniable que Google a joué un rôle majeur dans le développement d'Internet et des technologies mobiles, notamment grâce à son système d'exploitation Android. Toutefois, l’innovation ne doit pas être confondue avec des pratiques visant à verrouiller un marché. La Commission européenne a estimé que Google avait abusé de sa position dominante en imposant aux fabricants de smartphones la préinstallation de ses applications, réduisant ainsi les opportunités pour des alternatives concurrentielles. En d'autres termes, plutôt que d'encourager l'innovation, ces pratiques ont contribué à renforcer un monopole déjà bien établi.
Par ailleurs, la critique récurrente à l’encontre des géants de la technologie porte sur leur accumulation massive de brevets, souvent utilisés comme une arme défensive contre d'éventuels concurrents plutôt que comme un levier pour développer de nouvelles solutions. Ce comportement, assimilable à celui des "Patent Trolls" ou des "Patent Whores", empêche l’émergence de nouveaux acteurs et freine la véritable innovation. Ainsi, Google, qui se plaint aujourd’hui d’être "puni pour son innovation", semble paradoxalement adopter des stratégies qui limitent le potentiel d’innovation d’autres entreprises.
De plus, l'argument selon lequel l’amende européenne constituerait une forme d'imposition punitive, comme l’a suggéré Donald Trump, relève davantage de la rhétorique politique que d’une analyse économique fondée. L'objectif de cette sanction est de rétablir un équilibre concurrentiel et de garantir que les consommateurs ne soient pas contraints d’utiliser des services préinstallés sans véritable alternative. D'ailleurs, la décision de l’UE ne signifie pas que Google est empêché d’innover, mais plutôt qu’il doit revoir ses pratiques commerciales pour respecter des règles équitables.
Enfin, il est crucial de rappeler que les grandes entreprises technologiques ont un pouvoir immense, qui dépasse souvent celui de nombreux États en termes d’influence économique et de contrôle des données. Permettre à Google de dicter les conditions d’accès à son écosystème Android sans encadrement reviendrait à accepter une concentration toujours plus grande du pouvoir entre les mains d’un petit nombre d’acteurs. Si la concurrence est essentielle à l’innovation, elle ne peut exister que si des règles empêchent les abus de position dominante.
En conclusion, l’argument de Google selon lequel son innovation aurait été « punie » par l’UE semble davantage relever d’une tentative de victimisation que d’une réalité économique. Loin d’être une entrave au progrès technologique, cette amende vise à protéger la concurrence et à garantir un marché plus ouvert, au bénéfice des consommateurs et des innovateurs de demain. Plutôt que de contester cette sanction, Google ferait mieux de repenser son modèle en faveur d’une innovation véritablement inclusive et équitable.
Source : Alfonso Lamadrid, Google’s lawyer, during an appeal hearing
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L'argument de Google sur l'innovation via la préinstallation de ses applications peut-il être validé, sachant qu'il limite la concurrence et l'accès à d'autres acteurs ?
Google prétend que la décision nuit à son innovation, mais ses pratiques visent-elles vraiment l'innovation ou la préservation d'un monopole ?
Cette amende protège-t-elle vraiment les consommateurs ou punit-elle simplement une entreprise dominante sans résoudre les problèmes de l'industrie ?
Voir aussi :
UE : Google n'a plus que quelques jours pour mettre fin à ses pratiques anticoncurrentielles sur Android, ou payer une amende record
Google fait l'objet d'une injonction de démantèlement de l'UE pour pratiques anticoncurrentielles dans le domaine de l'adtech et pourrait devoir vendre une partie de ses activités lucratives