Alors que certains voient cette régulation comme une réponse légitime aux risques pour le réseau, d'autres critiquent son application asymétrique, soulignant que des secteurs comme l'énergie solaire domestique ou les infrastructures vieillissantes échappent parfois à une régulation aussi stricte. Ces critiques soulèvent des enjeux fondamentaux : l'équilibre entre innovation technologique et contraintes environnementales, le rôle des services publics dans un marché libéralisé, et la question plus large de l'équité dans la répartition des coûts et des responsabilités énergétiques.
Cryptomonnaies et infrastructures électriques en quête d’un équilibre fragile au Texa
Certains crypto-actifs, comme le bitcoin et l’éther, affichent une empreinte carbone importante, leur consommation énergétique annuelle étant comparable à celle de pays de taille moyenne tels que l’Espagne, les Pays-Bas ou l’Autriche. Puisque leur extraction et leur développement dépendent entièrement de l’approvisionnement énergétique, leur valorisation est étroitement liée aux politiques climatiques des différentes régions. Par conséquent, l’augmentation de l’exposition financière à ces actifs renforce les risques de transition pour le système financier, en raison de leur sensibilité aux évolutions des régulations climatiques.
Adoptée dans le cadre d'une loi de 2023, cette nouvelle réglementation impose aux installations de minage de cryptomonnaies consommant plus de 75 mégawatts d’électricité de fournir des informations précises à la Commission des services publics et au Conseil de fiabilité électrique du Texas (ERCOT), notamment leur localisation, leurs propriétaires et leurs besoins énergétiques.
Le minage de cryptomonnaies, très énergivore en raison du fonctionnement et du refroidissement des ordinateurs, s'est fortement développé au Texas, provoquant une hausse significative de la demande d'électricité. Cette règle vise à permettre une meilleure anticipation des besoins énergétiques de ces installations tout en assurant la fiabilité du réseau.
Selon Thomas Gleeson, président de la PUC, cette mesure illustre la capacité d’adaptation des autorités texanes à un secteur industriel en rapide évolution. Il a ajouté que la priorité resterait de garantir un approvisionnement électrique stable et abordable pour les Texans.
Les exploitations déjà en place doivent s’enregistrer avant le 1er février et renouveler leur enregistrement chaque année. Elles devront également transmettre des prévisions de leur charge de pointe pour les cinq prochaines années, en plus des données de consommation réelles de l’année précédente. Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant atteindre 25 000 dollars par jour et par infraction. Classées comme des « charges flexibles » par les régulateurs, ces installations peuvent moduler rapidement leur consommation d’énergie, notamment en réduisant leur activité durant les périodes de forte sollicitation du réseau.
En juillet, l’ERCOT estimait que ces infrastructures pouvaient consommer jusqu’à 2 600 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation énergétique de la ville d’Austin. Avec de nouvelles installations approuvées pour une capacité similaire et d'autres en préparation, cette croissance rapide, combinée à l'essor des centres de données, de la production d’hydrogène et à l’électrification des activités pétrolières et gazières, devrait presque doubler la demande électrique de l’État d’ici six ans.
En 2023, le réseau texan avait atteint une demande record de 85 gigawatts, principalement due à des vagues de chaleur exceptionnelles. Les projections de l’ERCOT tablent désormais sur une consommation avoisinant les 150 gigawatts d’ici 2030.
La face cachée du numérique : une consommation énergétique record et des impacts globaux
Le minage de Bitcoin, un processus énergivore nécessitant des ordinateurs puissants pour résoudre des calculs complexes, est devenu une activité aux lourdes implications environnementales. D’après un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la consommation énergétique mondiale associée au minage de Bitcoin a été multipliée par 34 entre 2015 et 2023, atteignant 121 térawattheures (TWh) par an, soit l’équivalent de la consommation énergétique d’un pays comme l’Argentine.
Contrairement aux traînées visibles laissées par les avions, la pollution générée par la numérisation est souvent imperceptible, bien que ses effets soient significatifs. Le même rapport souligne que l’empreinte carbone des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente entre 1,5 % et 3,2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
La gestion des données numériques constitue également un défi énergétique majeur. En 2022, les centres de données, responsables du stockage, du traitement et du transfert de données, ont consommé 460 TWh d’électricité, soit presque deux fois la consommation d’un pays comme l’Espagne. Cette consommation pourrait doubler d’ici 2026, aggravant encore la pression sur les ressources énergétiques.
En parallèle, l’extraction des minéraux critiques tels que le lithium, le graphite et le cobalt, essentiels à l’économie numérique, devrait augmenter de 500 % au cours des 25 prochaines années. De plus, la gestion des déchets électroniques reste problématique : leur volume a augmenté de 30 % en une décennie, avec des disparités marquées selon les régions. Les pays développés produisent en moyenne 3,25 kg de déchets numériques par personne, contre 1 kg dans les pays en développement, mais seulement 24 % de ces déchets sont collectés via des circuits formels.
Enfin, la prolifération des appareils numériques et la croissance du commerce électronique exacerbent ces impacts. Le nombre d’appareils connectés devrait atteindre 39 milliards d’ici 2029, tandis que le commerce électronique a généré 27 000 milliards de dollars de ventes en 2022 dans 43 pays, amplifiant la demande de ressources et les impacts environnementaux associés.
Une empreinte énergétique qui redessine la carte mondiale
Plus de 2 % de la production d’électricité aux États-Unis est désormais consacrée au minage de bitcoins, illustrant l’impact écologique majeur de cette quête de richesse numérique. Selon l’Agence d’information sur l’énergie (EIA), cette consommation équivaut à l’ajout d’un nouvel État au réseau électrique national. L’interdiction du minage en Chine a conduit de nombreuses opérations minières à se relocaliser aux États-Unis, qui représentaient près de 38 % de la production mondiale de bitcoins en 2022.
Historiquement, la Chine dominait largement l’extraction de bitcoins, mais sa part a chuté de 73 % en 2020 à 21 % en 2022, sous l’effet des interdictions gouvernementales visant à réduire les émissions de carbone et à lutter contre les activités financières illicites. Une partie de ces activités s’est déplacée vers des pays comme le Kazakhstan et les États-Unis, augmentant leurs parts respectives dans le minage mondial, de 34 % et 10 % selon les données du CBECI en 2023.
Cette redistribution géographique a également modifié la composition énergétique du minage mondial. Alors qu’en 2020, 53 % de l’énergie utilisée provenait du charbon, cette proportion est tombée à 46 % en 2022, entraînant une réduction de l’empreinte carbone mondiale du bitcoin de 34 %, ainsi qu’une baisse de 32 % de son empreinte hydrique et de 25 % de son empreinte terrestre.
En termes de consommation électrique, la Russie se situe à 37 % du niveau des États-Unis et à 17 % de celui de la Chine pour le minage de bitcoins. D’autres pays, comme la Malaisie, le Canada, l’Iran, l’Allemagne, l’Irlande et Singapour, figurent également parmi les principaux acteurs mondiaux dans cette industrie énergétique intensive.
Cryptomonnaies et réseau électrique : un équilibre délicat au Texas
La réglementation texane exigeant l’enregistrement des mineurs de cryptomonnaies et la transparence sur leur consommation énergétique soulève des questions cruciales sur la gestion des infrastructures énergétiques face à des industries émergentes et énergivores. Bien que cette mesure soit présentée comme une réponse pragmatique à la pression croissante sur le réseau électrique, elle reflète également des tensions plus profondes entre régulation, équité et innovation économique.
D’un côté, cette initiative peut être perçue comme un effort légitime pour protéger la stabilité du réseau et anticiper des pics de consommation susceptibles de provoquer des perturbations majeures, notamment lors de périodes de forte demande. Il semble logique que les opérateurs électriques souhaitent identifier et surveiller les consommateurs énergétiques les plus importants, afin de mieux planifier et garantir un approvisionnement fiable. Cependant, l’idée que ces données soient déjà accessibles via des compteurs ou d’autres mécanismes de facturation soulève la question de la nécessité de cette réglementation supplémentaire. Est-ce une véritable solution à un problème structurel, ou une intervention bureaucratique perçue comme excessive par certains acteurs du secteur ?
En parallèle, il est pertinent de souligner les disparités dans l’application des réglementations énergétiques. Par exemple, d’autres industries, comme les producteurs d’énergie solaire domestique ou les entreprises électrifiant leurs activités, bénéficient souvent de soutiens publics malgré leurs propres défis pour le réseau. Cette incohérence pourrait alimenter des critiques sur un traitement différencié selon les secteurs, où les mineurs de cryptomonnaies deviennent des cibles faciles pour des mesures jugées restrictives ou discriminatoires.
Enfin, cette discussion met en lumière une tension idéologique entre les principes du marché libre et l’intervention gouvernementale. Certains estiment que ces dynamiques devraient être résolues par des ajustements de prix ou des incitations économiques, sans imposer de contraintes réglementaires. D’autres, au contraire, soulignent que les infrastructures critiques comme l’électricité ne peuvent être abandonnées aux seules forces du marché, compte tenu de leur rôle fondamental pour la société.
En somme, la réglementation texane reflète un dilemme plus large : comment équilibrer les besoins croissants d’une économie numérique dynamique avec la responsabilité de garantir des services énergétiques fiables, accessibles et durables ? L’efficacité de cette mesure dépendra de sa mise en œuvre équitable et de sa capacité à intégrer les perspectives variées des parties prenantes.
Source : Power Demand
Et vous ?
Les conclusions de ce rapport sont-elles pertinentes ?
Pensez-vous que cette réglementation répond adéquatement aux besoins actuels du réseau électrique texan ?
Quelles mesures pourraient être envisagées pour trouver un compromis entre la stabilité énergétique et le développement économique lié au minage ?
Voir aussi :
Le minage de bitcoins utilise la même quantité d'énergie que l'Argentine et les ordinateurs portables nécessitent une tonne de matériaux. L'ONU met en garde contre l'impact environnemental de la numérisation
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