Le gouvernement français a déclaré l'état d'urgence mercredi sur son territoire de Nouvelle-Calédonie à la suite des manifestations contre les modifications des lois électorales qui ont tourné à la violence et ont fait quatre morts. La déclaration d'état d'urgence permettra à la police de restreindre sévèrement les droits civils de plusieurs manières, notamment en interdisant les manifestations publiques. Mais cette interdiction semble s'étendre à l'Internet, puisque l'AFP rapporte que la déclaration inclut un black-out sur TikTok dans les îles du Pacifique Sud.
Les troubles ont éclaté suite à l’adoption par les législateurs français d’un projet de loi qui permettrait à tous les citoyens résidant sur l’île depuis plus de dix ans de voter aux élections locales. Les mouvements pro-indépendance de la Nouvelle-Calédonie ont soutenu que cela affaiblirait la représentation des peuples autochtones, les Kanaks.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire français depuis sa première colonisation en 1853. Elle est devenue une colonie pénitentiaire pendant la seconde moitié du XIXe siècle, et de nombreux Kanaks ont lutté pour leur indépendance au fil des décennies. Le nickel a été découvert en Nouvelle-Calédonie en 1864, ce qui en a fait un territoire extrêmement rentable pour les Français jusqu'au 21e siècle, puisqu'il s'agit désormais d'un composant précieux utilisé dans les véhicules électriques.
En effet, selon Bloomberg, la Nouvelle-Calédonie est actuellement le troisième plus grand exportateur de nickel au monde, ce qui explique pourquoi la France a été si réticente à céder une grande partie de ses possessions coloniales. La position de la Nouvelle-Calédonie aux portes de la Chine, à environ 1200 kilomètres à l'est de l'Australie, est également considérée par la France comme stratégique dans le cadre de la nouvelle guerre froide.
Les accords de Nouméa de 1998, qui ont gelé le droit de vote aux élections locales des personnes nouvellement arrivées de France métropolitaine, sont une concession que la France a accordée après les manifestations massives et violentes des années 1980 et 1990. Le vote de mercredi par l'Assemblée nationale vise à changer tout cela, en permettant aux citoyens français blancs sans liens générationnels de longue date avec la Nouvelle-Calédonie de diluer les votes des autochtones des îles, qui sont plus susceptibles d'être favorables à l'indépendance.
Les autorités reprochent à TikTok d'avoir contribué à l'organisation des manifestations
Tout cela nous amène à la déclaration d'urgence de mercredi, qui a été promulguée par la France après deux jours de protestations violentes faisant suite à des manifestations auparavant pacifiques.
Les émeutes ont fait quatre morts, dont un policier et trois jeunes autochtones kanaks, et au moins 130 personnes ont été arrêtées, selon les derniers chiffres communiqués par le haut-commissariat de la République française en Nouvelle-Calédonie. La déclaration d'urgence durera 12 jours, selon la chaîne australienne ABC News, et un couvre-feu sera en vigueur tous les soirs de 18 heures à 6 heures du matin, heure locale.
TikTok est également interdit sur le territoire, les autorités françaises reprochant à l'application d'avoir contribué à l'organisation des manifestations et d'avoir « attiré les fauteurs de troubles dans les rues », comme l'a indiqué le South China Morning Post. On ne sait pas encore si l'interdiction de TikTok est permanente ou si elle sera levée après la fin de la période d'urgence, dans 12 jours.
Daniel Goa, chef du parti indépendantiste en Nouvelle-Calédonie, a condamné tout pillage tout en exhortant les jeunes à rentrer chez eux, mais a souligné la colère au cœur des émeutes. « Les troubles de ces dernières 24 heures révèlent la détermination de nos jeunes à ne plus se laisser contrôler par la France », a déclaré Goa dans un communiqué transmis à France24.
Le premier ministre français, Gabriel Attal, a annoncé l'envoi de 1000 effectifs supplémentaires en Nouvelle-Calédonie pour renforcer les 1 700 policiers déjà présents sur ce territoire d'environ 270 000 habitants :
« Nous allons renforcer encore le pont aérien de rétablissement de l'ordre qui a été mis en place pour déployer un millier d'effectifs de sécurité intérieure supplémentaire en plus des 1700 effectifs qui sont déjà sur place. Très concrètement, des forces du GIGN sont arrivé hier soir venu de Polynésie; un avion vient d'atterrir sur place en Nouvelle-Calédonie avec 132 effectifs supplémentaires. Un avion est parti hier soir de l'hexagone avec un escadron de gendarmerie mobile et 40 forces du GIGN, soit 116 effectifs supplémentaires ; cet avion est attendu sur place en Nouvelle-Calédonie dans les prochaines heures. Cet après-midi, un nouvel avion décollera de l'hexagone avec deux escadrons de gendarmerie mobile et deux compagnies de CRS, soit 250 effectifs supplémentaires qui arriveront dans les prochaines heures.
« Nous organisons par ailleurs, à la demande du Président de la République, le déploiement de six escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires dans les prochaines
heures soit 480 effectifs supplémentaires. Pour cela, nous mobiliserons l'aviation militaire, comme c'est déjà le cas, mais nous mobiliserons aussi l'aviation civile y compris avec des réquisitions pour organiser ce pont aérien de rétablissement de l'ordre.
« Au total ce sont donc 1000 effectifs supplémentaires qui sont en train d'être déployé sur place en plus des 1700 effectifs qui sont déjà en Nouvelle Calédonie. »
Les autochtones de Nouvelle-Calédonie n'ont obtenu la citoyenneté de leur propre pays qu'en 1957. Mais les dirigeants français insistent sur le fait que la loi et l'ordre doivent prévaloir. « La violence n'est ni justifiable ni tolérable », a déclaré Gabriel Attal. « La violence n'a jamais forcé la main à qui que ce soit. Elle n'a jamais permis le dialogue. Et c'est par le dialogue et par le dialogue seul que nous trouverons une solution politique globale pour la Nouvelle-Calédonie », a poursuivi Attal.
Comment l’État Français a bloqué TikTok en Nouvelle-Calédonie ?
Dans un échange avec Sud Radio, Cyrille Dalmont, qui est directeur de recherche à l'Institut Thomas More, spécialiste des enjeux éthique du numérique, s'est exprimé à ce sujet : « dans le cadre de l'état d'urgence, le ministre de l'Intérieur a fait des requêtes auprès des fournisseurs d'accès qui vont bloquer le système DNS qui permet d'atteindre le site internet TikTok ou les serveurs de TikTok. Aussi, quand les applications [veulent s'y connecter], qu'elles soit sur les téléphones portables ou sur les sites internet, elles atterrissent nulle part et ça fonctionne plus ».
Techniquement, cette « interdiction » passe par l'unique opérateur du pays (Mobilis), qui bloque l'accès aux serveurs de la plateforme à quiconque tente de se connecter.
Il est également question de droit (est-ce que la mesure est contestable ? Entrave à la liberté d'expression ?). Il a rappelé qu'Emmanuel Macron n'excluait pas cette hypothèse lors des émeutes faisant suite à la mort de Nahel. Ce qui avait alors provoqué de vives réactions, notamment au sein de l'opposition.
« Bloquer un réseau social, c’est d’habitude le quotidien d’un régime autoritaire ou d’une dictature »
Selon le service de VPN Surfshark, qui a documenté l'ensemble des blocages de réseaux sociaux depuis une décennie, plusieurs pays ont récemment été amenés à bloquer Tiktok, officiellement pour limiter le risque de violences qui seraient alimentées par la plateforme chinoise.
Parmi eux, figurent la Jordanie, qui a bloqué Tiktok fin 2022 après des émeutes, mais également l'Azerbaïdjan et l'Arménie, dans le cadre du conflit lié au Haut-Karabakh, là encore en 2022. En 2023, le Sénégal a pris une décision analogue pour lutter contre des dissidents du pouvoir, au même titre que la Somalie, là encore dans le cadre de manifestations anti-gouvernementales.
Des blocages de Tiktok qui se sont régulièrement accompagnés de blocages d'autres réseaux sociaux, comme Twitter, Facebook ou Instagram, par exemple en Russie, au moment de l'invasion de l'Ukraine, ou encore au Pakistan, lors de manifestations anti-France, ainsi qu'en Iran, là encore dans le cadre de manifestations.
« Bloquer un réseau social, c’est d’habitude le quotidien d’un régime autoritaire ou d’une dictature », déplore de son côté Eric Bothorel, député de la majorité et spécialiste des questions numériques, auprès de Tech&Co. « Je suis toujours très inquiet quant à l’effet boomerang que cela peut générer. On alimente de fait le narratif de ceux qui utilisent l’idée que les libertés sont bafouées », poursuit l'élu. Qui ajoute d'emblée: « Il faut souhaiter que le lien entre le réseau social et les évènements du moment soit clairement établi sinon le bénéfice-risque d’une telle mesure pourrait être malheureusement défavorable ».
Il faut rappeler qu'il est possible de contourner cette mesure en passant par un VPN.
Sources : données de Surfshark
Et vous ?
Quelles pourraient être les conséquences à long terme de l’interdiction de TikTok sur la société et la culture en Nouvelle-Calédonie ?
Comment l’interdiction de TikTok pourrait-elle affecter la perception de la liberté d’expression et des droits civils dans les territoires d’outre-mer ?
La réponse du gouvernement français est-elle proportionnée aux événements qui se sont déroulés en Nouvelle-Calédonie ?
Quel impact cette interdiction pourrait-elle avoir sur les mouvements pro-indépendance dans d’autres régions ?
Comment les citoyens de la métropole française devraient-ils réagir face aux événements en Nouvelle-Calédonie ?
Quelles mesures alternatives le gouvernement pourrait-il envisager pour gérer la situation sans recourir à la censure ?
En quoi les changements proposés dans les lois électorales pourraient-ils influencer l’avenir politique de la Nouvelle-Calédonie ?