Le lundi 11 juin 2018, la neutralité du Net a pris officiellement fin aux États-Unis, résultat du vote de trois voix contre deux qui a lieu au sein de la Federal Communications Commission (FCC), en décembre 2017. L'instance, qui était alors dirigé et contrôlé par les républicains, a décidé d'annuler les règles US interdisant aux fournisseurs de services Internet de bloquer, de ralentir l'accès ou de facturer davantage pour certains contenus.
La fin de ce principe fondateur d'Internet a donc ouvert la voie à davantage de liberté pour les opérateurs de télécommunications. Ces derniers étaient libres de traiter le trafic Internet comme ils le souhaitent, selon la source, la destination ou le contenu de l'information transmise sur le réseau, et donc libres de créer un Internet à deux voies ; des pratiques que l’administration Obama avait bannies avec les règles qu'elle a adoptées en février 2015.
Depuis la publication de l'ordonnance de la FCC dans le journal officiel du gouvernement fédéral américain, des initiatives ont été prises au Congrès et par les défenseurs des libertés numériques afin restaurer la neutralité du Net. C'est le cas par exemple d'une résolution CRA qui a été déposée en février 2018 par les sénateurs démocrates. Pour information, la Congressional Review Act (CRA) est une loi qui habilite le Congrès à réviser un nouveau règlement fédéral publié par un organisme gouvernemental et, par l'adoption d'une résolution commune, à annuler ce règlement. À la mi-mai de la même année, le Sénat américain a voté la résolution pour annuler la décision de la FCC, en attendant que la Chambre des représentants - où les républicains détiennent une plus grande majorité - fasse de même.
Les démocrates relancent le débat sur la neutralité du net
En 2021, le président Joe Biden a signé un décret visant à promouvoir la concurrence, la technologie étant directement dans sa ligne de mire. Le décret appelle les agences américaines comme la Federal Communications Commission (FCC) et la Federal Trade Commission (FTC) à mettre en œuvre 72 dispositions spécifiques. Les sujets incluent la restauration des dispositions de neutralité du net abrogées lors de l'administration précédente, la codification des règles de « droit de réparation » et l'augmentation du contrôle des monopoles technologiques.
Biden a souligné quelques-unes des dispositions lors d'une conférence de presse avant de signer son décret. Il a noté les demandes que la Food and Drug Administration permette aux gens d'acheter des appareils auditifs en vente libre (s'appuyant sur une loi signée par l'ancien président Donald Trump en 2017) et que la FTC interdise ou restreigne les clauses de non-concurrence qui limitent la capacité des travailleurs à changer d'emploi, un type de politique courante dans l'industrie de la technologie.
Le décret comprend également des modifications visant à offrir aux abonnés Internet plus de choix et un meilleur service. Il demande à la FCC d'exiger des fournisseurs de services Internet qu'ils déclarent les prix et les tarifs d'abonnement, d'empêcher les FAI de conclure des accords avec les propriétaires qui limitent les options des locataires et de raviver les règles de neutralité du net de l'ère Obama.
Les commissaires démocrates du FCC ont salué le décret : « Chaque Américain devrait disposer d'un haut débit abordable et de haute qualité. Le décret d'aujourd'hui met en lumière les valeurs qui devraient conduire notre travail vers cet objectif : l'abordabilité, l'équité, la concurrence, l'innovation et le choix des consommateurs », a déclaré le commissaire Geoffrey Starks dans un communiqué. « Les dizaines de millions d'Américains sans accès Internet fiable comptent sur nous – à la FCC et dans l'ensemble du gouvernement fédéral – pour lutter pour un marché du haut débit plus dynamique et inclusif ». Jessica Rosenworcel, qui était alors la présidente par intérim de la FCC (et est désormais la présidente de l'institution), a également salué cette décision, affirmant que « notre économie prospère grâce à la concurrence ».
Puis, en 2022, des démocrates ont présenté un nouveau projet de loi qui codifierait les règles profondément conflictuelles de l'internet ouvert. La législation prévoit de concrétiser l'objectif du président Joe Biden de rétablir la neutralité du net.
« Le haut débit n'est pas un luxe. Le haut débit est essentiel », a déclaré le sénateur Ed Markey. « Allons-nous saisir cette opportunité et nous assurer que l'avenir du haut débit de notre pays fonctionne pour tout le monde ? Ou accepterons-nous l'approche réglementaire injuste de la Trump FCC qui nuit aux concurrents et aux consommateurs de notre pays ? »
Dirigée par les sénateurs Ed Markey (Démocrate - Massachussetts) et Ron Wyden (Démocrate -Oregon), la Net Neutrality and Broadband Justice Act reclassifierait le service Internet à large bande en tant que service essentiel, autorisant la Federal Communications Commission à appliquer des règles interdisant les pratiques discriminatoires comme le blocage et la limitation de certaines voies de trafic Internet. La représentante Doris Matsui (Démocrate - Californie) est le fer de lance de la législation bicamérale à la Chambre.
Les démocrates ont désormais la majorité à la FCC et votent en faveur du rétablissement de la neutralité du net
Mardi, la présidente de la FCC, Jessica Rosenworcel, a annoncé que la Commission voterait, lors de sa réunion publique d'avril, en faveur du rétablissement de la neutralité du net, ce qui « rétablirait une norme nationale pour la fiabilité, la sécurité et la protection des consommateurs dans le domaine du haut débit ».
La neutralité du net fait référence au principe selon lequel les fournisseurs de services Internet devraient permettre l’accès à tous les contenus et applications, indépendamment de leur source, sans favoriser ni bloquer des produits ou des sites Web particuliers.
« La pandémie a prouvé une fois pour toutes que le haut débit est essentiel », a déclaré la présidente Rosenworcel. « Après que l'administration précédente a abdiqué son autorité sur les services à large bande, la FCC a été empêchée d'agir pour sécuriser pleinement les réseaux à large bande, protéger les données des consommateurs et veiller à ce que l'internet reste rapide, ouvert et équitable. Un retour à la norme de neutralité du réseau de la FCC, très populaire et approuvée par les tribunaux, permettra à l'agence de jouer à nouveau un rôle important de défenseur d'un internet ouvert auprès des consommateurs ».
Si elle est adoptée, la proposition aura les effets suivants :
- RETOURNER UNE PROTECTION POPULAIRE DE LA NEUTRALITÉ DU RÉSEAU : La FCC jouerait à nouveau un rôle clé en empêchant, au niveau fédéral, les fournisseurs de large bande de bloquer, de ralentir ou de créer des voies rapides payantes pour l'internet.
- ASSURER LE CONTRÔLE DES PANNEES DE LA BANDE LARGE : Lorsque les ménages et les entreprises perdent leur service internet, les consommateurs s'attendent souvent à ce que la FCC soit en mesure d'aider au rétablissement de la situation ou, du moins, à ce qu'elle dispose d'informations sur la panne. En rétablissant l'autorité du titre II de la FCC sur les fournisseurs de services internet, la FCC renforcera sa capacité à exiger de ces entreprises qu'elles remédient aux pannes d'internet. Sans cette autorité, la FCC ne peut pas exiger des entreprises qu'elles signalent les pannes de haut débit, ne peut pas collecter de données sur les pannes et n'a même pas l'autorité nécessaire pour envisager des moyens de protection contre les pannes d'internet et de rétablissement de la situation après celles-ci.
- RENFORCER LA SÉCURITÉ DES RÉSEAUX À LARGE BANDE : À l'ère du numérique, les menaces numériques sont nouvelles et émergentes. Sans surveillance des réseaux à large bande, la FCC n'est pas en mesure de contrôler pleinement ces problèmes de sécurité nationale et d'y répondre. Par exemple, sans reclassification, la FCC est limitée dans son pouvoir d'ordonner aux entreprises étrangères considérées comme des menaces pour la sécurité nationale d'interrompre tout service à large bande national ou international au titre de la section 214 - comme l'agence l'a fait pour les services téléphoniques. En outre, sans reclassification, la FCC n'a qu'une autorité limitée pour intégrer les normes de cybersécurité actualisées dans les politiques de réseau.
- PROTÉGER LES CONSOMMATEURS : Les protections de la neutralité du net augmenteraient les outils dont dispose la FCC pour protéger les données des consommateurs et répondre à l'évolution des menaces qui pèsent sur eux. Des règles actualisées pourraient interdire aux fournisseurs de large bande de vendre vos données de localisation, entre autres informations sensibles. Cela permettrait à l'agence de protéger les consommateurs contre d'autres pratiques préjudiciables.
- RÉTABLIR UNE NORME NATIONALE LARGEMENT ACCEPTÉE : Lorsque la FCC précédente s'est écartée des protections de la neutralité de l'internet, la Cour a déclaré que les États pouvaient intervenir. Malgré les efforts déployés par certains États pour assurer une surveillance rigoureuse en réponse au retrait de l'administration précédente, nous avons besoin d'une norme nationale pour garantir un accès rapide, ouvert et équitable à l'internet. Une norme nationale est également largement populaire : 80 % des Américains soutiennent les politiques d'ouverture de l'internet.
Les démocrates ont été bloqués pendant près de trois ans parce qu'ils n'ont pris le contrôle majoritaire des cinq membres de la FCC qu'en octobre.
Sous la présidence de Trump, la FCC avait affirmé que les règles relatives à la neutralité de l'internet étaient inutiles, qu'elles bloquaient l'innovation et qu'elles entraînaient une baisse des investissements dans les réseaux par les fournisseurs d'accès à l'internet, ce que les démocrates contestaient.
Rosenworcel a déclaré que la reclassification donnerait à la FCC de nouveaux outils importants en matière de sécurité nationale. Dans sa proposition initiale, l'agence a déclaré que les règles pourraient lui donner « une autorité plus solide pour exiger que davantage d'entités retirent et remplacent » les équipements et les services d'entreprises chinoises telles que Huawei et ZTE.
Le commissaire républicain de la FCC, Brendan Carr, s'est opposé à cette mesure, affirmant que depuis 2017, « les vitesses du haut débit aux États-Unis ont augmenté, les prix ont baissé (et) la concurrence s'est intensifiée ». Il a affirmé que le plan aboutirait à un « contrôle gouvernemental de l'internet ».
Malgré l'abrogation de 2017, une douzaine d'États disposent désormais de lois ou de réglementations sur la neutralité de l'internet. Les groupes industriels ont renoncé à contester les exigences de ces États en mai 2022.
Source : FCC
Et vous ?
La neutralité du net est-elle essentielle pour garantir un accès équitable à l’information en ligne ? Pourquoi ou pourquoi pas ?
Quels avantages voyez-vous dans le rétablissement des règles de neutralité du net ? Et quels inconvénients ?
Comment pensez-vous que la supervision réglementaire de l’internet à large bande pourrait affecter les fournisseurs de services et les utilisateurs ?
Quelles sont les implications pour l’innovation ? La régulation pourrait-elle entraver ou encourager de nouvelles technologies ?
Quels sont les enseignements tirés des expériences passées avec la neutralité du net dans d’autres pays ?