La Cour d'appel de Paris a condamné Orange pour contrefaçon relative au non-respect des termes de la licence GNU GPL. L'arrêt du tribunal indique qu'Orange a enfreint les droits d'auteur de la société Entr'ouvert, éditrice de la bibliothèque libre Lasso, et a violé la licence GNU GPL v2 sous laquelle est diffusé ce logiciel. À ce titre, Orange doit verser à Entr’ouvert 500 000 euros en réparation des conséquences économiques négatives subies et 150 000 euros au titre du préjudice moral. Cette décision relance le débat sur la licence GPL. Par le passé, une décision de justice a montré que la licence GPL peut être à la fois une licence de droit d'auteur et un accord contractuel.
Entr'ouvert est une entreprise de logiciels basée à Paris. L'entreprise a été créée en septembre 2002 et a pour activité le service informatique et notamment le développement de logiciels libres, le conseil, l’expertise et la formation. Entr'ouvert est, entre autres, l'éditeur de Lasso, une bibliothèque "libre" de référence pour le protocole SAML (Security Assertion Markup Language). SALM est une norme ouverte permettant aux fournisseurs d'identité d'authentifier les utilisateurs et de transmettre des jetons d'authentification aux services en ligne. Il s'agit du protocole ouvert qui permet l'authentification unique (single sign-on - SSO).
Le produit Lasso fait l'objet d'une double licence par Entr'ouvert sous licence GPL ou commerciale. En d'autres termes, Entr'ouvert recommande l'utilisation de la licence GPL chaque fois que cela est possible, mais pour les projets propriétaires, qui ne voudraient pas l'utiliser, l'entreprise a conçu une licence commerciale. Cependant, il semble qu'Orange, l'un des plus grands fournisseurs de service de télécommunication en France, se soit appuyé sur la bibliothèque libre Lasso d'Entr'ouvert sans avoir préalablement obtenu une licence commerciale. Ce qui a poussé Entr'ouvert a intenté une action en justice contre Orange en 2010.
En 2005, Orange a remporté un contrat avec l'Agence française pour le développement de l'administration électronique pour développer des parties du portail "service-public.fr", qui permet aux utilisateurs d'interagir en ligne avec le gouvernement pour des procédures administratives. Orange a utilisé le logiciel Lasso dans cette solution, mais n'a pas cédé les droits de ses modifications gratuitement sous licence GPL, ni mis à disposition le code source de ses modifications. Ensuite, Entr'ouvert a poursuivi Orange en 2010 pour contrefaçon de droits d’auteur et non-respect de la licence GNU GPL v2 sous laquelle est distribué Lasso.
Le 19 mars 2021, la Cour d'appel a d'abord rejeté les demandes d'Entr'ouvert pour violation du droit d'auteur, déclarant que l'affaire relevait de la rupture de contrat. Mais la Cour de cassation, qui est la Cour suprême de France, a examiné l'affaire et a rendu un arrêt le 5 octobre 2022 annulant la décision de la Cour d'appel. L'affaire a ensuite été renvoyée devant la Cour d'appel, qui a rendu son arrêt le 14 février 2024. Elle condamne Orange à verser des dommages-intérêts de 600 000 € à Entr’ouvert, soit 500 000 € en réparation des conséquences économiques négatives subies et 150 000 € au titre du préjudice moral.
La Cour d'appel considère qu’Entr’ouvert a d’abord subi un préjudice économique lié au manque à gagner sur le marché public service-public.fr « puisque si les sociétés Orange avaient respecté le contrat de licence et conclu une licence payante, elles auraient dû lui verser une redevance ». En outre, la Cour d'appel relève que l’exploitation gratuite du logiciel Lasso par Orange a généré nécessairement des bénéfices pour ce marché public de grande ampleur qui a perduré pendant 7 ans, outre les retombées en matière d’image, ce portail ayant été primé. La Cour a estimé que Lasso a permis à Orange de faire des économies.
« Cette exploitation leur a permis de profiter d’économies d’investissement, puisqu’en exploitant gratuitement le logiciel Lasso qui leur permettait de remplir les standards de sécurité exigés par l’ADAE, les sociétés Orange ont pu économiser des frais de recherche et développement ». Selon Legalis, la Cour considère qu'Orange a violé l’article 2 du contrat de licence, en procédant à des modifications de Lasso sur lequel est fondée sa plateforme IDMP, en ne la concédant pas comme un tout gratuit auprès de l’État. Ensuite, elle juge qu’Orange n’a pas davantage respecté l’article 3 en ne communiquant pas le code source modifié.
Enfin, la Cour constate qu’Orange a copié, modifié et distribué Lasso sans respecter l’ensemble des conditions du contrat de licence, en particulier l’article 4. Elle estime également que Lasso a été incorporé dans la plateforme IDMP, dont les conditions de distribution sont différentes et sans demander l’autorisation à Entr’Ouvert, ce qui constitue également une violation de l’article 10 du contrat de licence. La Cour en conclut que les actes d’Orange sont constitutifs de contrefaçon. L'arrêt de la Cour a été salué par certains critiques qui le considèrent comme une nouvelle victoire pour la communauté des logiciels libres.
« L'amende ? Cool. Quoi qu'il en soit. Je veux que l'ensemble du code source soit publié. Ce serait une véritable punition : votre code propriétaire est maintenant sous licence GPL », peut-on lire dans les commentaires. « Si vous agissez de bonne foi et résolvez les problèmes au fur et à mesure qu'ils sont soulevés, rien de vraiment grave ne devrait vous arriver. En général, les violations de la GPL sont signalées à l'amiable et ce n'est que si aucun accord ne peut être trouvé que les grands outils juridiques sont utilisés. Orange sait ce qu'il fait ». D'autres internautes ont toutefois critiqué la décision de la Cour et la licence GPL.
« Je vais peut-être être critiqué par les autres, mais voici ce que je pense. En tant que partisan du logiciel libre, je trouve la licence GPL oppressive en ce qui concerne le logiciel libre et je ne l'ai jamais considérée comme une véritable licence libre. Je connais les arguments et je comprends le point de vue des gens. Mais je trouve que les licences de type BSD sont beaucoup plus faciles à appliquer et à comprendre, et beaucoup plus compatibles avec ma conception personnelle du logiciel libre », note un critique. Ce point de vue est partagé par d'autres internautes qui pensent que la GPL est beaucoup trop contraignante.
Un critique ajoute : « je suis très inquiet quant à ce genre de choses. J'ai travaillé sur un certain nombre de projets qui ne vérifiaient aucune des licences sur lesquelles ils s'appuyaient. Tant qu'il s'agit d'un logiciel libre, les gens supposent toujours que l'on peut l'utiliser. J'aimerais vraiment que ce soit le cas. C'est vraiment comme si les gens laissaient ces petites mines ici et là pour que les gens trébuchent dessus ». Ce à quoi un autre a répondu : « quel que soit le logiciel que vous utilisez, vous devez connaître la licence. Cela n'a rien à voir avec le fait que le logiciel soit libre ou non ». Un autre commentateur indique :
« Beaucoup de personnes critiquent la licence GPL en disant qu'elle fait hésiter les entreprises à incorporer du code GPL dans le leur. Il s'agit d'une caractéristique, pas d'un bogue. Si vous créez un logiciel propriétaire, vous ne devriez pas y intégrer le code de quelqu'un d'autre sans licence. C'est une évidence. Tout comme vous n'essaieriez pas de le faire avec du code de Windows ou de Photoshop, n'essayez pas de le faire avec du code de Linux ou de Lasso. La disposition "copyleft" de la GPL trouve son origine dans la conviction de RMS que tous les logiciels propriétaires sont intrinsèquement contraires à l'éthique ».
On peut lire également : « vous n'êtes pas obligé d'aimer la GPL. Cela ne change rien au fait que cette société [Orange] est effectivement un voleur. Ce qui est dommage, c'est que cette affaire a passé 14 ans devant les tribunaux, pour une décision qui devrait être évidente ». Enfin, un autre critique se demande si l'affaire aurait abouti à la même conclusion si Entr'ouvert n'avait pas prévu une option de licence commerciale : « s'agit-il d'un argument en faveur de la fourniture systématique d'une double licence commerciale, afin d'avoir quelque chose à montrer du doigt et de pouvoir dire : "voilà. Manque à gagner" ? ».
Dans une décision de justice rendue il y a quelques années, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déclaré que la violation d'une licence de logiciel est bien un délit de contrefaçon et ne relève donc pas du régime de la responsabilité contractuelle. En 2022, Le Software Freedom Conservancy (SFC) a remporté une victoire juridique importante dans ses efforts continus pour forcer Vizio à publier le code source de son logiciel SmartCast TV, qui contiendrait des composants sous licence copyleft GPLv2 et LGPLv2.1. La décision du tribunal montre que la GPL est à la fois une licence de droit d'auteur et un accord contractuel.
Source : arrêt de la Cour d'appel de Paris
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Voir aussi
La violation d'une licence de logiciel est bien un délit de contrefaçon et ne relève donc pas du régime de la responsabilité contractuelle, a déclaré la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne)
Une décision de justice montre que la GPL est à la fois une licence de droit d'auteur et un accord contractuel, l'affaire oppose SFC à Vizio sur le code source du logiciel SmartCast TV
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Un tribunal français condamne Orange à payer 650 000 euros de dommages-intérêts pour violation de la licence GPL,
Une décision qui suscite des réactions mitigées dans la communauté
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Le , par Mathis Lucas
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