Avec l'adoption du DMA, Apple a été contraint de modifier son modèle en UE. Sans surprise, l'entreprise l'a fait d'une manière largement insuffisante. Il faut dire que dans les tribunaux, les enquêtes et ailleurs, la position d'Apple a été de défendre au maximum ses pratiques contre tout changement. Elle estime que seule Apple peut protéger la sécurité et la vie privée des utilisateurs et qu'elle est la seule à pouvoir innover sur ces marchés.
Si les chefs d'entreprises et les développeurs, directement concernés, ont fait par de leur colère, Damien Geradin, professeur de droit, s'est laissé allé à son analyse.
Tout d'abord, il rappelle qu'Apple n'a pas d'autre choix que d'autoriser d'autres magasins d'applications, mais l'entreprise souhaite conserver un large contrôle.
Geradin y voit des étapes onéreuses, rappelant « qu'à plusieurs reprises, Apple a cherché à introduire des frictions pour rendre les changements difficiles (par exemple, en réponse aux conclusions de l'autorité néerlandaise de la concurrence selon lesquelles elle avait commis un abus de position dominante) ».
Deuxièmement, Apple a également l'obligation de permettre le "sideloading" (c'est-à-dire la possibilité de télécharger des applications directement à partir d'un site web, comme les logiciels peuvent être téléchargés à partir de sites web sur les PC), mais interprète cette obligation de manière extrêmement restrictive : « Le sideloading fait référence au téléchargement d'applications iOS en dehors d'une place de marché d'applications officielle - et dans l'UE, les utilisateurs auront la possibilité de télécharger d'autres places de marché qui proposent des applications à télécharger ».
En d'autres termes, le téléchargement direct d'applications ne sera pas possible à partir du web (bien que cela soit parfaitement possible à partir des PC, y compris les iMacs). Curieusement, Apple affirme que « le téléchargement latéral est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles, dans l'Union européenne, les modifications apportées par le DMA aboutiront à un système moins sûr que le modèle en place dans le reste du monde », et s'en sert comme excuse pour introduire une série de contrôles qui brouilleront ses obligations au titre de l'article 6, paragraphe 4, du DMA. Par exemple, les applications devront être notariées, la notarisation étant définie comme « un examen de base qui s'applique à toutes les applications, quel que soit leur canal de distribution, axé sur les politiques de la plateforme en matière de sécurité et de protection de la vie privée et sur le maintien de l'intégrité de l'appareil ». Si c'est le cas, on ne voit pas pourquoi les applications notariées ne peuvent pas être téléchargées directement depuis le web.
Apple veut contraindre les développeurs à se servir de sa solution de paiement
Troisièmement, Apple a fait l'objet d'une enquête de la part de diverses autorités de la concurrence pour avoir obligé les développeurs d'applications qui vendent des produits et des services numériques à utiliser sa solution de paiement in-app. Apple n'a pas réussi à convaincre les régulateurs de la nécessité de l'IAP obligatoire, et l'article 5, paragraphe 7, du DMA le rend désormais illégal. Apple n'a donc pas d'autre choix que de permettre aux développeurs d'applications d'utiliser un autre prestataire de services de paiement ("PSP") ou d'établir un lien pour l'achat. Mais cette possibilité est soumise à une série de conditions qui dissuaderont les développeurs d'applications d'utiliser des PSP alternatifs :
- Tout d'abord, Apple a décidé de rendre difficile l'utilisation de ces options en obligeant les développeurs d'applications désireux d'utiliser d'autres PSP à passer par de multiples étapes. Apple introduit des avertissements destinés à dissuader les utilisateurs d'utiliser les applications.
- Deuxièmement, les développeurs d'applications utilisant d'autres options de paiement seront toujours soumis à la commission intégrale d'Apple (voir ci-dessous). Cela dissuadera financièrement les développeurs d'applications d'utiliser ces options, car ils n'ont que très peu (voire rien) à y gagner.
- Enfin, et surtout, les développeurs ne seront pas autorisés à "proposer à la fois l'achat dans l'application et d'autres PSP et/ou un lien d'achat aux utilisateurs dans leur application App Store sur la même vitrine". Voilà pour le choix de l'utilisateur. Cette mesure place également les développeurs d'applications dans une position délicate. S'ils décident d'utiliser une autre option de paiement, non seulement ils ne seront pas incités financièrement à le faire, mais ils perdront probablement des revenus en raison de la réduction du taux de conversion associée aux frictions.
Des conditions commerciales défavorables au changement
Quatrièmement, Apple propose de nouvelles conditions commerciales alternatives pour les applications iOS dans l'UE. Celles-ci comportent trois éléments principaux :
- "Commission réduite - Les applications iOS sur l'App Store paieront une commission réduite de 10 % (pour la grande majorité des développeurs, et pour les abonnements après leur première année) ou de 17 % sur les transactions de biens et services numériques, quel que soit le système de traitement des paiements choisi" ;
- "Frais de traitement des paiements - Les applications iOS sur l'App Store peuvent utiliser le traitement des paiements de l'App Store moyennant des frais supplémentaires de 3 %. Les développeurs peuvent utiliser un fournisseur de services de paiement dans leur application ou relier les utilisateurs à un site web pour traiter les paiements sans frais supplémentaires de la part d'Apple" ;
- "Frais de technologie de base (CTF) - Pour les applications iOS à très fort volume distribuées à partir de l'App Store et/ou d'une place de marché d'applications alternative, les développeurs paieront 0,50 € pour chaque première installation annuelle au-delà d'un seuil de 1 million. Selon les nouvelles conditions commerciales pour les applications européennes, Apple estime que moins de 1 % des développeurs paieront des frais de technologie de base pour leurs applications européennes".
Ainsi, pour les développeurs qui utilisent l'IAP, ce que la plupart d'entre eux continueront à faire pour les raisons exprimées ci-dessus, la commission totale sera de 17 %/10 % + 3 % + la redevance de technologie de base.
Si l'on exclut la redevance technologique de base ou CTF, la commission standard pour les développeurs d'applications utilisant l'IAP a donc été réduite de 10 %, bien que pour les petits développeurs d'applications et les abonnements après la première année, la réduction ne soit que de 2 %. Pour les développeurs d'applications utilisant des méthodes de paiement alternatives, la commission standard est réduite de 13 % et la commission pour les petits développeurs d'applications et les abonnements après la première année de 5 %, mais ils doivent payer les frais de traitement des paiements à leur propre PSP. Les frais de traitement des paiements varient en fonction d'un certain nombre de considérations. Le recours à d'autres prestataires de services de paiement ne permettra pas de réaliser beaucoup d'économies.
Quant à la taxe sur la technologie de base, il s'agit d'une nouvelle taxe "inutile" qui affectera de manière disproportionnée les développeurs d'applications dont les revenus sont limités, mais dont les applications sont largement téléchargées. Il semble qu'il s'agisse d'une façon intelligente pour Apple de récupérer les commissions réduites. Il est à noter que les développeurs de places de marché d'applications alternatives paieront le CTF pour chaque première installation annuelle de l'application, y compris les installations qui ont lieu avant que le seuil d'un million ne soit atteint. Ainsi, si un développeur d'applications décide de distribuer ses applications par l'intermédiaire d'un magasin d'applications tiers, il ne paiera aucune commission à Apple, à l'exception du CTF et de la commission qui sera facturée par le magasin d'applications en question.
L'analyse
La question est bien sûr de savoir si les développeurs d'applications devraient se réjouir de ces commissions réduites et si ces commissions sont FRAND (et donc conformes à l'article 6(12) du DMA).
Pour ce qui est de savoir si les développeurs d'applications devraient se réjouir de la réduction des commissions, la question est à la fois oui et non. Oui, parce que certains d'entre eux paieront théoriquement moins (bien que dans le cas de ceux qui paient la commission réduite, la réduction supplémentaire soit faible). Mais ils doivent maintenant payer le CTF, ce qui représentera une lourde charge pour les applications qui ont des revenus limités, mais dont les applications sont très téléchargées. Ces développeurs d'applications pourraient se retrouver dans une situation plus défavorable qu'avec les conditions actuelles (et s'en tiendront donc à celles-ci, ce qui est une possibilité offerte par Apple ; mais dans ce cas, ils ne peuvent pas utiliser d'autres méthodes de paiement). Or, même une commission réduite représente encore beaucoup d'argent. Un développeur d'applications de taille moyenne réalisant un chiffre d'affaires de 5 millions de dollars devra encore payer 1 million de dollars de commission, simplement pour figurer dans l'App Store, sans même compter le CTF.
Cela ne tient pas compte non plus du fait que les développeurs d'applications offrent une valeur immense à Apple. Sans la présence de millions d'applications sur son App Store, Apple ne serait pas en mesure de vendre beaucoup d'iPhone. Pour illustrer la raison pour laquelle un taux de 20 % est excessif, Damien a proposé l'expérience de pensée suivante. Apple maintiendrait-elle un App Store si la commission standard était ramenée à 5 % ? Oui. Et si la commission était de 0 % ? Elle le ferait quand même parce qu'elle n'aurait pas le choix. Les gens s'attendent à pouvoir télécharger Netflix, Uber, Tinder, Spotify et bien d'autres applications sur leur iPhone. Sans applications, pas de ventes d'iPhone, qui représentent l'essentiel des revenus d'Apple. En d'autres termes, la commission n'est rien d'autre qu'une illustration du pouvoir de goulot d'étranglement d'Apple.
Quant à la question de savoir si les commissions réduites sont conformes à la norme FRAND, la réponse est un non sans équivoque. Ces commissions ne sont pas équitables et raisonnables. Mais elles sont également discriminatoires. En effet, les développeurs d'applications dont les applications vendent des biens et services numériques et ceux dont les applications n'en vendent pas utilisent en fait les mêmes services de l'app store, mais sont traités différemment. Seuls les premiers paient une commission. Comme indiqué ailleurs, il est difficile de comprendre pourquoi Tinder doit payer une commission de 17 %, alors qu'Uber n'en paie aucune. Les applications à grand succès telles que Facebook, Amazon, etc. ne paieront aucune commission alors qu'elles consomment certainement plus de services de l'App Store que, par exemple, une application d'actualités à succès modéré. Cela n'a aucun sens.
Source : Damien Geradin
Pensez-vous que l’utilisation obligatoire du système de paiement intégré d’Apple est justifiée ? Certains soutiennent que cela garantit une expérience utilisateur cohérente, tandis que d’autres estiment que cela limite la concurrence et entraîne des coûts plus élevés pour les développeurs.
Pensez-vous que les frais annuels de 0,50 euro par téléchargement imposés par Apple sont justifiés ? Comment cela pourrait-il affecter les développeurs d’applications gratuites ?
La commission continue de 17 % prélevée par Apple sur les achats d’applications et les paiements récurrents est-elle équitable ? Devrait-il y avoir plus de flexibilité pour les développeurs en matière de méthodes de paiement ?
Que pensez-vous de l’attitude d’Apple envers le Digital Markets Act (DMA) ? Est-ce que leur proposition de contourner la loi tout en prétendant se conformer est acceptable ?
Quelles alternatives à l’App Store devraient être encouragées ? La Commission européenne a ouvert la voie à des places de marché d’applications alternatives. Pensez-vous que cela bénéficiera aux développeurs et aux utilisateurs ?
Comment cela affecte-t-il les petites entreprises et les startups ? Les nouvelles règles d’Apple ont-elles un impact disproportionné sur les nouveaux acteurs du marché des applications ?
Quelles autres mesures pourraient être prises pour favoriser une concurrence saine dans l’écosystème des applications iOS en Europe ?