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L'Europe estime que des millions de travailleurs de la "gig economy" doivent être traités comme des salariés.
Si cela ressemble à un emploi et est supervisé comme un emploi, alors c'est un emploi

Le , par Stéphane le calme

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L’Union européenne a proposé jeudi de nouvelles règles pour les « plateformes numériques » qui pourraient obliger les entreprises de livraison et de covoiturage comme Uber et Deliveroo à requalifier leurs chauffeurs sous contrat en employés. Cette initiative vise à renforcer les droits sociaux des millions de travailleurs de la gig economy, qui sont souvent précaires et mal protégés.

L'économie des plateformes a connu une croissance exponentielle ces dernières années: ses recettes sont passées d'un montant estimé à 3 milliards d'euros en 2016 à environ 14 milliards d'euros en 2020, et le nombre de travailleurs des plateformes devrait atteindre 43 millions d'ici 2025, d'après des projections.

Si la croissance des plateformes numériques a bénéficié à la fois aux entreprises et aux consommateurs, elle a entraîné l'apparition d'une « zone grise » pour de nombreux travailleurs des plateformes en ce qui concerne leur statut professionnel. Selon la Commission, quelque 5,5 millions de travailleurs actuellement qualifiés d'indépendants sont en réalité dans une relation de travail avec des plateformes numériques et devraient donc pouvoir bénéficier des mêmes droits sociaux et du travail que ceux qui sont accordés aux travailleurs salariés en vertu du droit de l'Union.

Par ailleurs, l'utilisation d'algorithmes dans le travail via une plateforme a soulevé des questions quant au traitement des données relatives aux travailleurs et à la transparence et à la responsabilité dans la prise de décision.


Un accord provisoire

Le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur une proposition de directive visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes. Si l'accord conclu ce jour est confirmé par les deux institutions avant d'être soumis la procédure formelle d'adoption, il aidera des millions de travailleurs à avoir accès aux droits en matière de travail.

La directive apporte deux grandes améliorations: elle permet de déterminer correctement le statut professionnel des personnes travaillant pour des plateformes numériques et établit les premières règles de l'UE en matière d'utilisation de systèmes algorithmiques sur le lieu de travail.

Yolanda Díaz, deuxième vice-présidente du gouvernement et ministre du travail et de l'économie sociale de l'Espagne, a déclaré :

L'accord intervenu ce jour marque une avancée considérable pour les travailleurs à la demande dans l'UE. Une fois confirmé par le Conseil et le Parlement, il offrira une meilleure protection globale aux travailleurs des plateformes. En particulier, il contribuera à faire en sorte que les travailleurs qui ont été qualifiés à tort d'indépendants aient plus facilement accès aux droits dont ils bénéficient en vertu du droit de l'Union en tant que salariés.

Qualification correcte des travailleurs indépendants

À l'heure actuelle, dans leur majorité, les 28 millions de travailleurs des plateformes de l'UE, y compris les chauffeurs de taxi, les travailleurs domestiques et les livreurs de repas, sont officiellement des travailleurs indépendants. Toutefois, un certain nombre d'entre eux doivent respecter en grande partie les mêmes règles et restrictions que les travailleurs salariés, ce qui indique qu'ils se trouvent en réalité dans une relation de travail et qu'ils devraient donc bénéficier des droits en matière d'emploi et de la protection sociale offerts aux salariés en vertu du droit national et de l'UE.

L'accord provisoire conclu avec le Parlement remédie à ces cas de qualification erronée et permet aux travailleurs concernés d'être requalifiés en travailleurs salariés. L'accord prévoit que les travailleurs seront légalement présumés être des salariés d'une plateforme numérique (et non des travailleurs indépendants) si leur relation avec cette plateforme remplit au moins deux des cinq indicateurs énoncés dans la directive. Ces indicateurs sont les suivants:
  • plafonds applicables à la rémunération que les travailleurs peuvent percevoir
  • supervision de l'exécution de leur travail, y compris par des moyens électroniques
  • contrôle de la répartition ou de l'attribution des tâches
  • contrôle des conditions de travail et limitation de la latitude de choisir son horaire de travail
  • limitation de la liberté d'organiser son travail et règles en matière d'apparence ou de conduite

Selon le texte approuvé, les États membres peuvent ajouter d'autres indicateurs à cette liste en vertu du droit national.

Dans les cas où la présomption légale s'applique, il reviendra à la plateforme numérique de démontrer qu'il n'existe pas de relation de travail conformément à la législation et à la pratique nationales.


Utilisation plus transparente des algorithmes

Les plateformes de travail numériques utilisent régulièrement des algorithmes pour la gestion des ressources humaines. Il en résulte que les travailleurs des plateformes sont souvent confrontés à un manque de transparence concernant la manière dont les décisions sont prises et dont les données à caractère personnel sont utilisées.

L'accord conclu avec le Parlement fait en sorte que les travailleurs soient informés du recours à des systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés. Il interdit également aux plateformes de travail numériques de traiter certains types de données à caractère personnel au moyen de systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés. Ces données comprendront:
  • les données à caractère personnel concernant l'état émotionnel ou psychologique des travailleurs des plateformes
  • les données relatives aux conversations privées
  • les données permettant de prédire l'activité syndicale réelle ou potentielle
  • les données servant à déduire l'origine raciale ou ethnique, le statut migratoire, les opinions politiques, les convictions religieuses ou l'état de santé
  • les données biométriques autres que les données servant à l'authentification

En vertu des nouvelles règles, ces systèmes devront être supervisés par un personnel qualifié, bénéficiant d'une protection spécifique contre les traitements défavorables. Un contrôle humain est également garanti pour certaines décisions importantes, telles que la suspension des comptes.

L’accord sur le travail de plateforme devrait mettre fin au « Far West » des droits des travailleurs

La proposition de la Commission a été saluée par les syndicats et les activistes du travail, qui la considèrent comme une avancée historique pour les droits des travailleurs de la gig economy. C'est le cas de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui a salué l'accord provisoire, tout en avertissant que le texte attendrait ses modifications finales et sa mise en œuvre.

Réagissant à l’accord, le Secrétaire confédéral de la CES Ludovic Voet a déclaré :

Nous devons encore examiner attentivement le texte final de cet accord mais ce qui est évident c’est qu’il y a un véritable effort de s’attaquer aux sérieux problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés. Les entreprises de plateforme ont forcé des livreurs, des chauffeurs de taxi et d’autres travailleurs, y compris des soignants et du personnel de nettoyage, à accepter de faux emplois indépendants pour éviter de payer le pécule de vacances, les indemnités de maladie ou les cotisations de sécurité sociale.

Cet accord devrait marquer le début de la fin du Far West en matière de droits des travailleurs. Il relève dorénavant de la responsabilité des États membres de veiller à correctement mettre en œuvre les mesures adoptées aujourd’hui s’ils veulent faire une différence dans la vie des 5,5 millions de travailleurs des plateformes. L’inversion de la charge de la preuve à propos de ce qui constitue une relation d’emploi est un important pas en avant. On ne doit pas attendre des travailleurs qu’ils continuent à affronter une armée d’avocats d’entreprise dans le seul but de bénéficier d’un droit fondamental tel que le congé maladie.

La transparence sur la gestion par algorithmes contribuera également à empêcher les plateformes de recourir à de honteuses tactiques antisyndicales telles que punir des personnes qui adhèrent à un syndicat en les privant de travail. Après de longues et laborieuses négociations, nous pouvons maintenant espérer que le Conseil confirme la directive afin que les travailleurs puissent en bénéficier dès que possible.
Citation Envoyé par CES
Alors que la finalisation du texte de l’accord du Parlement européen, du Conseil et de la Commission est toujours en cours, il nous revient qu’il inclut les améliorations suivantes :
  • Une inversion de la charge de la preuve, ce qui signifie que les plateformes doivent maintenant prouver qu’il n’existe pas de relation d’emploi ;
  • Les inspections sur les lieux de travail deviendront obligatoires en cas de reclassification, autrement dit, si un travailleur suit la procédure, les autorités devront évaluer la situation de ses collègues ;
  • La transparence sur la gestion par algorithmes que certaines entreprises de plateforme ont utilisée pour fixer et réglementer le travail pour ensuite punir des travailleurs ayant pris part à une activité syndicale légale ;
  • Un rôle central pour les syndicats et la négociation collective dans l’économie des plateformes en pleine évolution

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La proposition de la Commission devra être discutée avec les États membres et le Parlement européen avant d’être adoptée, ce qui pourrait prendre plusieurs années. Le débat s’annonce animé, car les intérêts des différents acteurs sont divergents. La question de savoir comment réguler la gig economy est cruciale pour l’avenir du travail en Europe, car elle concerne non seulement les droits des travailleurs, mais aussi la compétitivité des entreprises, la croissance économique et la transition écologique.

Conclusion

La lutte pour les salaires et les pratiques de travail est une constante depuis qu’il existe des travailleurs et des employeurs. Le front de bataille numérique s’est ouvert vers 2005 avec l’émergence de services de plateforme cloud comme Airbnb, Amazon Mechanical Turk, Lyft et Uber, qui classaient les travailleurs comme entrepreneurs indépendants et évitaient ainsi de payer les avantages sociaux et les impôts sur l’emploi.

Le statut d’emploi des travailleurs des plateformes numériques a d’énormes conséquences financières – tant pour les travailleurs que pour les plateformes qui les embauchent. Bien que diverses agences nationales des impôts et de l'emploi proposent des conseils sur la classification des travailleurs, leurs tests respectifs pour déterminer le statut d'emploi et les lois du travail associées ne sont pas toujours claires ou bien adaptées au travail sur les plateformes numériques.

Aux États-Unis, les entreprises de plateformes numériques ont largement réussi à préserver leur capacité à classer leurs travailleurs comme entrepreneurs indépendants. En Californie, par exemple, DoorDash, Lyft et Uber ont mené avec succès une campagne et une bataille judiciaire pour convaincre les électeurs de soutenir leurs pratiques de travail.

Sources : Conseil européen , CES

Et vous ?

Quels sont les avantages et les inconvénients de la requalification des travailleurs de la gig economy en employés ?
Comment la régulation de la gig economy pourrait-elle affecter l’innovation et la compétitivité des plateformes numériques ?
Quel est le rôle des syndicats et des associations de travailleurs dans la défense des droits des travailleurs de la gig economy ?
Quelles sont les bonnes pratiques ou les exemples à suivre d’autres pays ou régions qui ont réussi à concilier la flexibilité et la protection sociale des travailleurs de la gig economy ?

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