De quoi s'agit-il ?
L'affaire du 8 décembre 2020 est une affaire controversée de peines de détention préventive, dont une peine préventive de seize mois à l'isolement, et d'intentions terroristes supposées sans qu'aucun acte terroriste ni projet d'acte terroriste ne soit reproché aux prévenus.
Sept personnes seront jugées par la 16e chambre du tribunal judiciaire de Paris en octobre 2023.
L'affaire commence en 2018 avec la surveillance par la Direction générale du renseignement intérieur (DGSI) de personnes revenues du Rojava (Syrie) où elles sont parties combattre Daesh aux côtés des forces kurdes du YPG.
L'affaire se fait surtout connaître à travers le traitement réservé à l'un d'entre eux, Florian D., qui prend le nom de Libre Flot une fois en prison et qui est maintenu seize mois à l'isolement en détention provisoire. Il est remis en liberté sous bracelet électronique le 7 avril 2022 après avoir mené une grève de la faim.
La Quadrature du Net dénonce
L'association note deux phrases emblématiques des autorités :
- celle de la DGSI : « Tous les membres contactés adoptaient un comportement clandestin, avec une sécurité accrue des moyens de communication (applications cryptées, système d’exploitation Tails, protocole TOR permettant de naviguer de manière anonyme sur internet et wifi public). » Cette phrase apparaîtra des dizaines de fois dans le dossier. Écrite par la DGSI, elle sera reprise sans aucun recul par les magistrat·es, au premier titre desquels le juge d’instruction, mais aussi les magistrat·es de la chambre de l’instruction et les juges des libertés et de la détention. Durant la phase d’enquête, l’amalgame entre chiffrement et clandestinité est mobilisé pour justifier le déploiement de moyens de surveillance hautement intrusifs comme la sonorisation de lieux privés. La DGSI les juge nécessaires pour surveiller des « individus méfiants à l’égard du téléphone » qui « utilisent des applications cryptées pour communiquer » ;
- et celle du juge d'instruction : « L’ensemble des membres de ce groupe se montraient particulièrement méfiants, ne communiquaient entre eux que par des applications cryptées, en particulier Signal, et procédaient au cryptage de leurs supports informatiques […]. »
Voici quelques-unes des habitudes numériques qui sont, dans cette affaire, instrumentalisées comme autant de « preuves » de l’existence d’un projet criminel :
- l’utilisation d’applications comme Signal, WhatsApp, Wire, Silence ou ProtonMail pour chiffrer ses communications ;
- le recours à des outils permettant de protéger sa vie privée sur Internet comme un VPN, Tor ou Tails ;
- le fait de se protéger contre l’exploitation de nos données personnelles par les GAFAM via des services comme /e/OS, LineageOS, F-Droid ;
- le chiffrement de supports numériques ;
- l’organisation et la participation à des sessions de formation à l’hygiène numérique ;
- la simple détention de documentation technique.
Criminalisation de l'utilisation de messageries chiffrées comme WhatsApp, Signal, Telegram et ProtonMail
Dans son billet, la Quadrature s'est concentrée sur la criminalisation des pratiques numériques des inculpés, qui sont présentées par la police et le juge d’instruction comme des signes de « clandestinité » et de « conspiration ». Il s’agit notamment de l’utilisation de messageries chiffrées grand public comme Signal, du système d’exploitation Tails, du protocole Tor ou du wifi public. L’article dénonce le mélange de fantasmes, de mauvaise foi et d’incompétence technique qui caractérise cette interprétation, et qui vise à construire un récit policier autour de ces pratiques.
Envoyé par Quadrature
La Quadrature a défendu le droit au chiffrement des communications, la lutte contre l’exploitation des données personnelles par les GAFAM, le droit à l’intimité et la vie privée ainsi que la diffusion et l’appropriation des connaissances en informatique. Elle affirme que ces pratiques numériques sont des gestes politiques légitimes et nécessaires face à la surveillance généralisée et aux atteintes aux libertés fondamentales. Elle appelle à ne pas se laisser intimider par la répression et à continuer à utiliser ces outils.
À l’heure de conclure cet article, l’humeur est bien noire. Comment ne pas être indigné·e par la manière dont sont instrumentalisées les pratiques numériques des inculpé·es dans cette affaire ?
Face au fantasme d’un État exigeant de toute personne une transparence totale au risque de se voir désignée comme « suspecte », nous réaffirmons le droit à la vie privée, à l’intimité et à la protection de nos données personnelles. Le chiffrement est, et restera, un élément essentiel pour nos libertés publiques à l’ère numérique.
Soyons clairs : cette affaire est un test pour le ministère de l’Intérieur. Quoi de plus pratique que de pouvoir justifier la surveillance et la répression de militant·es parce qu’ils et elles utilisent WhatsApp ou Signal ?
Auditionné par le Sénat suite à la répression de Sainte-Soline, Gérald Darmanin implorait ainsi le législateur de changer la loi afin qu’il soit possible de hacker les portables des manifestant·es qui utilisent « Signal, WhatsApp, Telegram » en des termes sans équivoque : « Donnez-nous pour la violence des extrêmes les mêmes moyens que le terrorisme ».
Pour se justifier, il avançait qu’il existe « une paranoïa avancée très forte dans les milieux d’ultragauche […] qui utilisent des messageries cryptées » ce qui s’expliquerait par une « culture du clandestin ». Un véritable copier-coller de l’argumentaire policier développé dans l’affaire du 8 décembre. Affaire qu’il citera par ailleurs – au mépris de toute présomption d’innocence – comme l’exemple d’un « attentat déjoué » de « l’ultragauche » pour appuyer son discours visant à criminaliser les militant·es écologistes.
Face au fantasme d’un État exigeant de toute personne une transparence totale au risque de se voir désignée comme « suspecte », nous réaffirmons le droit à la vie privée, à l’intimité et à la protection de nos données personnelles. Le chiffrement est, et restera, un élément essentiel pour nos libertés publiques à l’ère numérique.
Soyons clairs : cette affaire est un test pour le ministère de l’Intérieur. Quoi de plus pratique que de pouvoir justifier la surveillance et la répression de militant·es parce qu’ils et elles utilisent WhatsApp ou Signal ?
Auditionné par le Sénat suite à la répression de Sainte-Soline, Gérald Darmanin implorait ainsi le législateur de changer la loi afin qu’il soit possible de hacker les portables des manifestant·es qui utilisent « Signal, WhatsApp, Telegram » en des termes sans équivoque : « Donnez-nous pour la violence des extrêmes les mêmes moyens que le terrorisme ».
Pour se justifier, il avançait qu’il existe « une paranoïa avancée très forte dans les milieux d’ultragauche […] qui utilisent des messageries cryptées » ce qui s’expliquerait par une « culture du clandestin ». Un véritable copier-coller de l’argumentaire policier développé dans l’affaire du 8 décembre. Affaire qu’il citera par ailleurs – au mépris de toute présomption d’innocence – comme l’exemple d’un « attentat déjoué » de « l’ultragauche » pour appuyer son discours visant à criminaliser les militant·es écologistes.
Et vous ?
Que pensez-vous de l'argumentation de la Quadrature ?
Quelle est votre position sur le procès du 8 décembre ?
Quelles sont les pratiques numériques que vous utilisez pour protéger votre vie privée et vos données personnelles ?
Quels enjeux et défis du chiffrement des communications voyez-vous dans le contexte actuel ?
Voir aussi :
France : le Sénat dit "oui" à une disposition d'un projet de loi prévoyant d'allumer les micros et caméras de téléphone à distance dans certaines enquêtes