La France a infligé à Google une amende d'un demi-milliard d'euros après avoir constaté des infractions majeures dans la façon dont l'entreprise a négocié avec les éditeurs pour les rémunérer suite à la réutilisation de leur contenu. Pour mémoire, des « droits voisins » ont été créés dans le cadre d'une récente loi de l'Union européenne qui oblige les grandes plateformes technologiques à ouvrir des pourparlers avec les éditeurs à la recherche d'une rémunération pour l'utilisation de contenu d'actualité. Cette mesure est censée aider la presse à se faire rémunérer pour la reprise de leurs contenus par les plateformes en ligne et autres agrégateurs, en compensant ainsi l'effondrement de leurs recettes publicitaires traditionnelles au profit des grandes enseignes de l’Internet, comme Facebook et Google.
Une amende supérieure à la moitié de la cagnotte prévue par Google sur trois ans pour les éditeurs de presse du monde entier
Le montant de l'amende est notable, car il s'agit de plus de la moitié de l'investissement d’un milliard de dollars que Google a prévu pour couvrir les accords de licence d'actualités avec les éditeurs du monde entier sur une période de trois ans. Baptisée Google News Showcase, cette initiative a été présentée en octobre par son PDG :
« Cet engagement financier, le plus important à ce jour, paiera les éditeurs pour qu'ils créent et organisent du contenu de haute qualité pour un autre type d'expérience d'actualités en ligne. Google News Showcase est un nouveau produit qui profitera à la fois aux éditeurs et aux lecteurs: il propose la curation éditoriale de salles de rédaction primées pour donner aux lecteurs plus d'informations sur les histoires qui comptent et, ce faisant, aide les éditeurs à développer des relations plus profondes avec leur public.
« News Showcase est composé de panneaux d'histoire qui apparaîtront initialement dans Google Actualités sur Android. Le produit sera bientôt lancé sur Google Actualités sur iOS, et viendra à l'avenir sur Google Discover and Search. Ces panneaux permettent aux éditeurs participants de regrouper les articles qui apparaissent dans les produits d’actualité de Google, en fournissant une narration plus approfondie et plus de contexte grâce à des fonctionnalités telles que des chronologies, des puces et des articles connexes. D'autres éléments comme la vidéo, l'audio et les briefings quotidiens viendront ensuite.
« Cette approche est distincte de nos autres produits d'information, car elle s'appuie sur les choix éditoriaux que font les éditeurs individuels concernant les articles à montrer aux lecteurs et la manière de les présenter. Elle commencera à être déployée aujourd'hui auprès des lecteurs au Brésil et en Allemagne, et s'étendra à d'autres pays dans les mois à venir où des cadres locaux soutiennent ces partenariats ».
Plusieurs ont perçu cette initiative comme une manœuvre de la part de la grande enseigne visant à réduire son exposition à des représailles légales en Europe pour la réutilisation de contenu en poussant les éditeurs à accepter des conditions commerciales qui lui confèrent de larges droits de « présenter » leur contenu.
Le gendarme français de la concurrence a donc décidé de sévir. La sanction de 500 millions d'euros est appliquée parce que Google n'a pas respecté un certain nombre d'injonctions liées à sa décision antérieure d'avril 2020 (lorsque l'Autorité a ordonné à Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs pour les rémunérer pour l'affichage de leur contenu protégé).
Initialement, Google a cherché à échapper au droit voisin en cessant d'afficher des extraits de contenu à côté des liens qu'il a montrés dans Google News en France. Mais l'Autorité a estimé qu'il s'agissait probablement d'un abus de sa position dominante et a ordonné à Google de cesser de contourner la loi et de négocier avec les éditeurs pour payer la réutilisation de bonne foi.
Une amende supérieure aux 62,7 millions d'euros que Google avait prévu de verser à un groupe d'éditeurs de presse français
La pénalité d'un demi-milliard d'euros est également remarquable dans la mesure où elle est considérablement plus élevée que ce que Google avait déjà accepté de payer aux éditeurs français. En effet, Alphabet, la maison mère de Google, est convenue de verser 76 millions de dollars (62,7 millions d’euros) au groupe d’éditeurs de presse français, d'après deux documents.
L’un des deux documents est un accord-cadre stipulant que Google est prêt à verser 22 millions de dollars par an pendant trois ans à un groupe de 121 publications nationales et locales, qui signeront chacune un accord individuel de licence. Le second document, baptisé « protocole transactionnel », prévoit le versement par Google de 10 millions de dollars au même groupe d’éditeurs en échange duquel ces derniers s’engagent à mettre fin à tout litige, actuel ou futur, concernant les droits voisins sur une durée de trois ans. Pour donner un ordre d'idée, Le Monde va récupérer 1,3 million de dollars chaque année, La Voix de la Haute Marne 13 741 dollars. En plus de ces sommes, Le Monde, Le Figaro et Libération et leurs groupes respectifs sont également parvenus à négocier d’environ 3 millions d’euros chacun par année en acceptant en novembre dernier de s’associer avec Google pour vendre des abonnements via un service offert par le géant du numérique, a indiqué une source proche du dossier.
Un certain nombre d'éditeurs lui ont reproché le fait que les négociations n'avaient pas été menées de bonne foi et que Google ne leur avait pas fourni les informations clés nécessaires pour éclairer les paiements.
Le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), l'Alliance de Presse d'Information Générale (APIG) et l'Agence France Presse (AFP) ont porté plainte en août/septembre 2020 — donnant le coup d'envoi de l'enquête du gendarme de la concurrence et l'annonce ce jour d'une sanction majeure .
D'autres amendes (pouvant aller jusqu'à 900 000 € par jour) pourraient être imposées à Google s'il continue à enfreindre les injonctions du gendarme et ne fournit pas aux éditeurs toutes les informations requises dans un nouveau délai de deux mois.
Dans un communiqué de presse détaillant son enquête, l'Autorité a déclaré que Google cherchait à imposer unilatéralement son produit de licence d'information mondiale « Showcase » dans le cadre d'un partenariat que Google appelle Publisher Curated News.
Communiqué de l'Autorité
Dans une décision rendue publique ce jour, l’Autorité inflige à Google une sanction de 500 millions d’euros pour avoir méconnu plusieurs injonctions prononcées dans le cadre de sa décision de mesures conservatoires d’avril 2020 (décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a. et l’Agence France-Presse).
L’Autorité ordonne, par ailleurs, à Google de présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés aux éditeurs et agences de presse ayant saisi l’Autorité et de leur communiquer les informations nécessaires à l’évaluation d’une telle offre, sous peine de se voir infliger des astreintes pouvant atteindre 900 000 euros par jour de retard, si Google n’y a pas procédé dans un délai de deux mois.
La Présidente de l’Autorité, Isabelle de Silva a déclaré à propos de la décision de ce jour :
« Lorsque l’Autorité impose des injonctions aux entreprises, celles-ci sont tenues de les appliquer scrupuleusement, en respectant leur lettre et leur esprit. Au cas d’espèce, tel n’a malheureusement pas été le cas.
« Au terme d’une instruction approfondie, l’Autorité a constaté que Google n’avait pas respecté plusieurs injonctions formulées en avril 2020. Tout d’abord, la négociation de Google avec les éditeurs et agences de presse ne peut être regardée comme ayant été menée de bonne foi, alors que Google a imposé que les discussions se situent nécessairement dans le cadre d’un nouveau partenariat, dénommé Publisher Curated News, qui incluait un nouveau service dénommé Showcase. Ce faisant, Google a refusé, comme cela lui a été pourtant demandé à plusieurs reprises, d’avoir une discussion spécifique sur la rémunération due au titre des utilisations actuelles des contenus protégés par les droits voisins. En outre, Google a restreint sans justification le champ de la négociation, en refusant d’y intégrer les contenus des agences de presse repris par des publications (images par exemple) et en écartant l’ensemble de la presse non IPG de la discussion, alors même qu’elle est incontestablement concernée par la loi nouvelle, et que ses contenus sont en outre associés à des revenus significatifs pour Google. Ces manquements ont été aggravés par la non-transmission des informations qui auraient permis une négociation équitable, et par la violation des obligations visant à assurer la neutralité de la négociation vis-à-vis de l’affichage des contenus protégés et des relations économiques existant par ailleurs entre Google et les éditeurs et agences de presse.
« La sanction de 500 millions d’euros tient compte de l’exceptionnelle gravité des manquements constatés et de ce que le comportement de Google a conduit à différer encore la bonne application de la loi sur les droits voisins, qui visait à une meilleure prise en compte de la valeur des contenus des éditeurs et agences de presse repris sur les plateformes. L’Autorité sera extrêmement vigilante sur la bonne application de sa décision, une non-exécution pouvant désormais déboucher sur des astreintes. »
Réaction de Google
Google a déclaré qu'il était très déçu de la décision, mais qu'il s'y conformerait.
« Notre objectif reste le même : nous voulons tourner la page par un accord définitif. Nous prendrons en compte les retours de l'Autorité de la concurrence et adapterons nos offres ». Un porte-parole de Google a ajouté : « Nous avons agi de bonne foi tout au long du processus. L'amende ignore nos efforts pour parvenir à un accord et la réalité du fonctionnement des informations sur nos plateformes ».
Source : Autorité de la concurrence
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Le , par Stéphane le calme
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