Google, qui s'est déjà vu infliger des amendes antitrust d'un montant de plusieurs milliards de dollars en Europe, fait maintenant l'objet d'une nouvelle enquête formelle de l'UE. Cette fois, l'enquête porte sur la position de poids de Google dans le domaine de la technologie de l'affichage publicitaire en ligne, un secteur qui représentait environ 24 milliards de dollars dans l'UE il y a quelques années. La division antitrust de la Commission européenne craint que Google ne fausse la concurrence en ne permettant pas aux autres entreprises de technologie publicitaire de consulter certaines données – sur l'identité et le comportement des utilisateurs – qu'il réserve à son propre usage.
La Commission européenne, qui est l'organe exécutif de l'UE et le principal responsable de l'application des règles antitrust dans l'Union, a annoncé mardi qu'elle avait ouvert une enquête formelle afin de déterminer si Google avait enfreint les règles de concurrence de l'Union européenne en favorisant ses propres services de technologie de publicité par affichage en ligne au détriment des éditeurs, annonceurs et services de technologie publicitaire concurrents. La Commission cherche notamment à déterminer si Google restreint l'accès des tiers aux données des utilisateurs à des fins publicitaires sur les sites Web et les applications.
Il s'agit d'une enquête importante, car elle porte sur l'activité principale de Google, la publicité en ligne, qui a généré 147 milliards de dollars de revenus pour l'entreprise l'année dernière. Environ 16 % de ses revenus proviendraient de son activité d'affichage ou de réseau, dans le cadre de laquelle d'autres sociétés de médias utilisent la technologie de Google pour vendre des annonces. C'est la première fois que l'UE enquête sur l'activité de Google dans le domaine de la publicité par affichage en ligne, où l'entreprise sert d'intermédiaire entre les annonceurs et les éditeurs pour remplir les espaces publicitaires sur les pages Web et les applications.
« Google collecte des données qui seront utilisées à des fins de publicité ciblée, il vend des espaces publicitaires et agit également en tant qu'intermédiaire publicitaire en ligne. Google est donc présent à presque tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement de l’affichage de publicités en ligne », a déclaré la responsable de la concurrence de la Commission européenne, Margrethe Vestager, dans un communiqué publié mardi. « Nous sommes préoccupés par le fait que Google a rendu plus difficile la concurrence des services rivaux de publicité en ligne dans ce qu'on appelle la pile ad tech ».
Antitrust, vie privée et FLoC
Dans ce qui est une autre indication de la confluence croissante de la réglementation antitrust et de la protection de la vie privée dans le contexte de la big tech, Mme Vestager a ajouté que son unité examinera également « les politiques de Google en matière de suivi des utilisateurs pour s'assurer qu'elles sont conformes à une concurrence loyale ».
La Commission a indiqué que son enquête porterait sur les services de Google, notamment Display & Video 360 (DV360) et Google Ads, qui permettent d'acheter des publicités en ligne sur YouTube, Google Ad Manager, qui est utilisé par les éditeurs pour mettre aux enchères des espaces publicitaires, et AdX, qui est l'une des nombreuses places de marché pouvant gérer des enchères. La Commission s'intéresse au fait que les annonceurs qui achètent des spots sur YouTube doivent utiliser ces plateformes pour le faire, ainsi qu'à la "préférence apparente" de Google pour son propre système d'échange d'annonces AdX dans les services.
« Il est essentiel que les règles du jeu soient équitables pour tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement. Une concurrence loyale est importante – à la fois pour que les annonceurs puissent atteindre les consommateurs sur les sites des éditeurs et pour que les éditeurs puissent vendre leur espace aux annonceurs, afin de générer des revenus et de financer le contenu ».
Un autre volet important de l'enquête concerne les récentes mesures prises par Google pour mettre fin au suivi par des tiers des utilisateurs de Chrome et d'Android. Si cette décision est censée être favorable à la protection de la vie privée, elle a suscité la colère d'autres entreprises de technologie publicitaire et d'éditeurs, qui ne seront plus en mesure de cibler les individus aussi directement qu'ils le faisaient depuis des années.
À la place des cookies tiers, Google adopte un mécanisme de suivi appelé FloC ou "Federated Learning of Cohorts", qui fait partie d'un nouveau cadre appelé "Privacy Sandbox". C’est une méthode pour les navigateurs qui permet de faire de la publicité basée sur les activités et les intérêts des utilisateurs. Elle fonctionne en collectant les données des utilisateurs par le biais de leur historique de navigation, puis en rassemblant les groupes d'utilisateurs ayant les mêmes activités dans des cohortes. Les algorithmes utilisés pour créer ces cohortes observent principalement les URL des sites Web que les utilisateurs ont consultés et le contenu de ces sites. Les données relatives aux cohortes sont ensuite utilisées à des fins publicitaires.
Google a déclaré avoir développé le Privacy Sandbox afin de remplacer les cookies tiers « par des alternatives viables et respectueuses de la vie privée, développées aux côtés des partenaires de l'écosystème, qui aideront les éditeurs et les annonceurs à réussir tout en protégeant la vie privée des personnes lorsqu'elles se déplacent sur le Web ». Google fait valoir que le système qu'il envisage est plus protecteur de la vie privée des utilisateurs que les méthodes actuelles, car il suit des groupes de personnes plutôt que des utilisateurs individuels.
Cependant, FloC a été critiqué par des groupes soucieux de la vie privée des utilisateurs, comme l'Electronic Frontier Foundation. Les fabricants de navigateurs concurrents ne l'apprécient pas non plus, comme l'a récemment déclaré Mozilla, le fabricant de Firefox : « Nous n'adhérons pas à l'hypothèse selon laquelle l'industrie a besoin de milliards de points de données sur les gens, qui sont collectés et partagés sans leur compréhension, pour servir des publicités pertinentes ». Le fabricant de navigateurs Brave a déclaré que « le pire aspect de FLoC est qu'il porte matériellement atteinte à la vie privée des utilisateurs, sous couvert d'être respectueux de la vie privée
Google et les autorités antitrust et de protection de la vie privée du Royaume-Uni ont récemment conclu un accord qui est actuellement ouvert à la consultation. S'il est adopté, Google devra éviter toute discrimination à l'égard de ses rivaux en matière de publicité et de technologie publicitaire dans ses technologies "Privacy Sandbox" post-cookie – et les changements qu'il apportera, sous le regard des régulateurs britanniques, seront applicables dans le monde entier.
La réaction de Google à l’enquête antitrust officielle
L'enquête officielle intervient alors que l'activité ad tech de Google est également sous le feu des critiques aux États-Unis, où le ministère de la Justice, rejoint par certains États, l'a poursuivie l'année dernière pour abus de sa position dominante dans les annonces de recherche. Un groupe d'États, emmené par le Texas, a ensuite intenté une action en justice pour comportement anticoncurrentiel dans le domaine des réseaux.
Cette enquête est la dernière mesure antitrust prise par l'UE à l'encontre de Google. Elle est le signe d'un nouvel effort de Margrethe Vestager, responsable de la concurrence à la Commission européenne et vice-présidente exécutive pour le numérique, pour limiter le pouvoir de marché de Google.
La dernière grosse amende antitrust de l'UE infligée à Google, un gros montant de 1,7 milliard de dollars prélevé en 2019, concernait également la publicité. Cependant, elle concernait la gestion par Google de ses boîtes AdSense for Search que les entreprises peuvent inclure sur leurs sites Web. Les amendes antérieures comprennent 5 milliards de dollars pour la gestion de la plateforme mobile Android par Google, prélevés en 2018, et une amende de 2,7 milliards de dollars l'année précédente pour la promotion excessive du service d'achat de Google dans ses résultats de recherche.
En réaction à la dernière enquête antitrust officielle, Google a déclaré qu'il allait « s'engager de manière constructive » avec la Commission européenne. « Des milliers d'entreprises européennes utilisent chaque jour nos produits publicitaires pour atteindre de nouveaux clients et financer leurs sites Web », a déclaré la société dans un communiqué. « Elles les choisissent parce qu'ils sont compétitifs et efficaces ». Google affirme que de nombreux grands annonceurs utilisent jusqu'à quatre plateformes pour acheter des annonces, et que ses technologies sont interopérables avec 700 plateformes publicitaires rivales, et 80 plateformes de publication rivales.
Une nouvelle enquête de l'UE pourrait finir par viser l'ensemble de l'empire publicitaire de Google, selon Reuters. Selon l'entreprise d'études de marché eMarketer, Google pourrait contrôler 27 % des dépenses publicitaires mondiales en ligne cette année, dont 57 % pour les annonces de recherche et 10 % pour l'affichage. Si ces chiffres ne semblent pas représenter un monopole à première vue, les annonceurs et les rivaux affirment que les différents logiciels de Google jouent un rôle dans tellement de facettes du marché qu'il est impossible d'éviter l'entreprise.
Source : Communiqué de presse
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Une enquête antitrust formelle de l'UE vise les services ad tech de Google,
L'interdiction par Google des cookies tiers dans Chrome sera également examinée
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Le , par Stan Adkens
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