Lundi, le sénateur américain Josh Hawley a présenté le Trust-Busting for the Twenty-First Century Act, une nouvelle législation visant à reprendre le contrôle des grandes entreprises et à le rendre au peuple américain. Le projet de loi du sénateur Hawley réprimera les fusions et acquisitions des mégacorporations et renforcera l'application des lois antitrust afin de poursuivre le démantèlement des entreprises dominantes et anticoncurrentielles. « Un petit groupe de mégacorporations bienveillant contrôle les produits que les Américains peuvent acheter, les informations qu'ils peuvent recevoir et les discours qu'ils peuvent tenir. Ces pouvoirs monopolistiques contrôlent notre discours, notre économie, notre pays, et leur contrôle n'a fait que croître parce que Washington a aidé et encouragé leur quête d'un pouvoir sans fin », a déclaré le sénateur Josh Hawley sur son blog.
Les Big Tech, également connues sous les noms Big Four ou Big Five sont les entreprises les plus grandes et les plus dominantes du secteur des technologies de l'information dans le monde, à savoir Amazon, Apple, Facebook, Google et Microsoft. Depuis la fin des années 2000, ces cinq entreprises seraient, en dehors de Saudi Aramco, Tesla et Tencent, les sociétés publiques les plus précieuses au niveau mondial, chacune ayant eu une capitalisation boursière maximale allant d'environ 500 milliards de dollars à environ 2 000 milliards de dollars américains à différents moments. Ce qui fait de ces entreprises la cible idéale pour l’élu américain Josh Hawley.
Les préoccupations relatives aux pratiques monopolistiques de ces entreprises ont donné lieu à des enquêtes antitrust du ministère de la Justice et de la Federal Trade Commission aux États-Unis, et de la Commission européenne. Les commentateurs se sont interrogés sur l'impact de ces entreprises sur la vie privée, le pouvoir de marché, ainsi que sur la liberté d'expression et la censure. D'un autre côté, en fournissant des services gratuits aux consommateurs, elles restent populaires. En particulier, Facebook et Google offrent presque tous leurs services gratuitement.
Selon le sénateur Hawley, qui accuse les plus grandes entreprises de technologie d'étouffer les voix conservatrices, et qui a également critiqué d'autres secteurs, comme ceux des produits pharmaceutiques, les Big Tech sont trop concentrés et détiennent un pouvoir de marché trop important. Son nouveau projet de loi interdirait effectivement à Apple, Microsoft, Amazon, Google et Facebook de conclure des accords et tenterait d'empêcher ces plateformes de favoriser leurs propres produits par rapport à ceux de leurs rivaux. Le projet de loi de Hawley s'attaque à certains des mêmes problèmes qu'un projet de loi antitrust présenté par la sénatrice démocrate Amy Klobuchar en février, et contient certaines mesures similaires.
Interrogé sur le projet de loi de la sénatrice démocrate Amy Klobuchar, Hawley a déclaré : « Je suis prêt à travailler avec elle et avec quiconque, quel que soit son parti ou son origine. J’apprécie beaucoup ce que la sénatrice Klobuchar a proposé ». Toutefois, mon projet de loi serait nettement plus sévère a-t-il indiqué. La domination de ces grandes entreprises de technologie sur un large éventail de marchés au centre de la vie quotidienne des consommateurs est de plus en plus surveillée.
En février 2020, la Commission fédérale du commerce (FTC) a émis des ordonnances spéciales à l'encontre de ces cinq grandes entreprises technologiques, en « leur demandant de fournir des informations sur les acquisitions antérieures non déclarées aux agences antitrust en vertu de la loi Hart-Scott-Rodino (HSR) », d’après le communiqué de la FTC. « Les ordonnances aideront la FTC à approfondir sa compréhension des activités d'acquisition des grandes entreprises technologiques, notamment la manière dont ces entreprises déclarent leurs transactions aux agences antitrust fédérales, et à déterminer si les grandes entreprises technologiques procèdent à des acquisitions potentiellement anticoncurrentielles de concurrents naissants ou potentiels qui se situent en dessous des seuils de déclaration du HSR et n'ont donc pas besoin d'être déclarées aux agences antitrust ».
Joseph Simons, président de la FTC, a déclaré que les avis émis aux entreprises de haute technologie étaient destinés à la recherche, mais n'a pas exclu la possibilité de prendre des mesures rétroactives à l'égard de ces acquisitions passées. « Si, au cours de l'étude, nous constatons que certaines transactions sont problématiques, nous pourrions revenir en arrière et prendre des mesures coercitives pour traiter ces transactions », a déclaré Simons.
Cependant, Bill Gates, le cofondateur de Microsoft, pense que ce serait une mauvaise idée pour les régulateurs de démanteler des géants technologiques comme Google, Apple Amazon, Microsoft et Facebook, qui sont régulièrement sous enquête pour comportement antitrust. Bill Gates a exprimé sa position lors d’un entretien avec Bloomberg. Au cours des échanges, il a déclaré qu'il est préférable de réglementer les grandes entreprises de la technologie, car pour lui, les démanteler conduira tout simplement faire en sorte que de nouvelles entreprises adoptent un mauvais comportement.
« Je ne sais pas la dernière fois qu'une entreprise a été démantelée... mais il faut vraiment se demander si la meilleure chose à faire si l'on veut se débarrasser du comportement d'une entreprise, c'est de le faire. Ensuite, vous devriez simplement dire : " Hé, d'accord, c'est un comportement interdit " », a dit Gates. Il a ajouté que « séparer une entreprise en deux et avoir deux entités qui font la mauvaise chose, vous savez que cela ne semble pas être une solution ».
En 2016, la Commission européenne a donné son approbation pour le rachat de LinkedIn par Microsoft, mais à condition que la firme de Redmond se plie à un certain nombre d’engagements qu’elle a pris pour préserver la concurrence dans l’espace économique européen. Cet aval de l’autorité européenne chargée de la concurrence était la dernière autorisation légale attendue pour que l’entreprise de Bill Gates finalise son opération. Les régulateurs du Brésil, des États-Unis, du Canada et de l’Afrique du Sud avaient déjà donné leur accord sans réserve. Dans différentes notes postées sur le réseau social professionnel, Satya Nadella et Jeff Weiner, les PDG respectifs de Microsoft et LinkedIn ont annoncé avoir finalisé l’accord.
Plus tôt ce mois, Microsoft a confirmé l'acquisition de la société spécialisée dans l'IA et la reconnaissance vocale, Nuance Communications, pour près de 20 milliards $, soit la plus importante acquisition après LinkedIn. La technologie de cette société basée à Burlington, dans le Massachusetts, a contribué au lancement de l'assistant numérique Siri d'Apple. L'accord, qui a été rapporté par Bloomberg dimanche, aidera Microsoft à fournir « de nouvelles capacités de Cloud Computing et d'IA dans le secteur de la santé et d'autres industries », a déclaré la société.
« Nuance fournit la couche d'IA au point de prestation de soins de santé et est un pionnier dans l'application réelle de l'IA d'entreprise », a déclaré le PDG de Microsoft Satya Nadella dans le billet de blog. « L'IA est la priorité la plus importante de la technologie, et les soins de santé sont son application la plus urgente. Ensemble, avec notre écosystème de partenaires, nous mettrons des solutions d'IA avancées entre les mains des professionnels du monde entier pour favoriser une meilleure prise de décision et créer des connexions plus significatives, tout en accélérant la croissance de Microsoft Cloud for Healthcare et de Nuance ».
« L'accord avec Nuance serait un trophée pour Redmond », a déclaré Dan Ives, analyste chez Wedbush, faisant référence à Microsoft, dont le siège est à Redmond (Washington). « Nuance est au milieu d'un redressement stratégique sans précédent ces dernières années sous la direction du PDG Mark Benjamin et nous pensons que la société représente un atout unique sur le front des soins de santé pour Microsoft ».L’administration de Joe Biden paraît engagée à mettre les entreprises de la Tech au pas et réduire leur influence qui apparaît, sondage après sondage, trop grande aux yeux des Américains.
« Après la présidence Obama, marquée par une coopération entre le gouvernement et la Silicon Valley, celle de Donald Trump qui exprimait une certaine hostilité à l’égard de ces sociétés, mais essentiellement sur des questions de liberté d’expression, Joe Biden semble lui aussi vouloir en découdre, pour des raisons plus profondes que ses prédécesseurs, qui ont trait, notamment, au droit de la concurrence », résume Thibault Schrepel, spécialiste du droit de la concurrence à l’université de droit d’Utrecht et à Stanford. Durant la campagne, le président américain Joe Biden s’était exprimé en faveur de nouvelles règles pour limiter le risque d’abus de position dominante de Google et Amazon. Il avait également affirmé que Facebook ou Twitter devaient être légalement tenus pour responsables des contenus haineux ou de la désinformation qui circulait sur leur plateforme.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le démocrate a commencé à passer des paroles aux actes. En nommant l'activiste anti-Big Tech Tim Wu et Lina Khan, connue pour ses attaques véhémentes contre Amazon, aux postes de conseiller économique du président et commissaire à la FTC. « C’est un signal important, car c’est la première fois qu’un président nomme des vrais spécialistes de ces questions à des fonctions où ils peuvent avoir un impact », souligne Martin Moore, spécialiste de la régulation des médias et de la communication politique au King’s College de Londres. En octobre 2020, la majorité démocrate à la Chambre des représentants avait publié un rapport trouble de 440 pages pour poser les fondations d’une politique agressive pouvant aboutir au démantèlement des Gafam.
Voici, ci-dessous, ce que compte apporter le projet de loi sur le Trust-Busting for the Twenty-First Century de Josh Hawley :
- interdire toutes les fusions et acquisitions par des sociétés dont la capitalisation boursière dépasse 100 milliards de dollars ;
- donner à la FTC le pouvoir de désigner des « entreprises numériques dominantes » exerçant un pouvoir de marché dominant sur des marchés (Internet en particulier) auxquelles il sera interdit de racheter des concurrents potentiels ;
- interdire aux entreprises numériques dominantes de privilégier leurs propres résultats de recherche par rapport à ceux de leurs concurrents sans publication explicite ;
- réformer les lois Sherman et Clayton pour préciser que la preuve directe d'un comportement anticoncurrentiel est suffisante pour étayer une plainte antitrust, ce qui permettra aux responsables de l'application des lois de poursuivre efficacement le démantèlement des entreprises dominantes et d'éviter que les affaires antitrust ne se transforment en batailles entre économistes ;
- remplacer la norme désuète axée sur les chiffres pour évaluer les affaires antitrust, qui permet aux conglomérats géants d'échapper à tout examen en se concentrant sur des considérations à court terme, par une norme mettant l'accent sur la protection de la concurrence aux États-Unis ;
- préciser que les fusions "verticales" ne sont pas exemptées de l'examen antitrust. Exemple : Amazon ne pourra pas acquérir d'autres entreprises dans sa chaîne d'approvisionnement ;
- augmenter considérablement les sanctions antitrust en exigeant que les entreprises qui perdent les procès antitrust fédéraux renoncent à tous leurs bénéfices résultant d'un comportement monopolistique.
Et vous ?
Que pensez-vous du projet de loi du sénateur républicain Josh Hawley ?
Réussira-t-il à démanteler les Big Tech anticoncurrentielles ?
Pensez-vous qu’une saine concurrence est encore possible entre les grandes plateformes et les plus petites dans le milieu de la technologie ?
Voir aussi :
Apple pourrait faire face à une plainte antitrust de l'UE d'ici l'été prochain, en rapport avec la plainte de Spotify
Microsoft confirme l'acquisition de la société d'IA, Nuance Communications, pour près de 20 milliards $, soit la plus importante acquisition après LinkedIn
Microsoft finalise le rachat de LinkedIn et donne des précisions sur les plans d'intégration des produits des deux entreprises
Apple pourrait faire face à une plainte antitrust de l'UE d'ici l'été prochain, en rapport avec la plainte de Spotify