L'agence californienne qui réglemente les compagnies de covoiturage telles que Uber et Lyft a déclaré dans une ordonnance mardi que les chauffeurs travaillant pour ces services seront considérés dorénavant comme des employés en vertu de la loi AB5, la nouvelle loi de l'État qui s’applique aux travailleurs de la "gig economy", marquant ainsi un développement significatif dans la bataille sur le statut des chauffeurs. Cette disposition oblige Uber, Lyft et les autres sociétés intervenant dans les réseaux de transport à obtenir une couverture d'indemnisation des travailleurs pour leurs chauffeurs avant le 1er juillet, date fixée par la loi AB5, ou faire face à des conséquences telles que des amendes ou même l'annulation, la révocation ou la suspension de leurs activités par l'agence, selon une récente lettre adressée à ces sociétés par la CPUC.
La décision de la CPUC (Commission des services publics de Californie), qui réglemente les entreprises de covoiturage dans tout l'État, intervient six mois après l'entrée en vigueur d'une loi de l'État qui rend plus difficile pour les entreprises de classer les travailleurs comme des entrepreneurs indépendants plutôt que comme des employés, a rapporté Reuters. Cette dernière désignation les dispense de payer les heures supplémentaires, les soins de santé et les indemnités pour accident du travail.
Selon Reuters, les actions d'Uber et Lyft ont chuté de 5,3 % et 4,2 %, respectivement, en début de négociation, la nouvelle ordonnance frappant au cœur du modèle économique des plateformes technologiques comme Uber et Lyft qui reposent sur des travailleurs contractuels qu’elles paient moins cher. La CPUC a déclaré dans un décret qu'il devait appliquer la loi de l'État, en déterminant que les conducteurs des sociétés du réseau de transport (TNC), le terme utilisé dans le secteur pour désigner les opérateurs de covoiturage, seraient désormais considérés comme des employés.
« Pour l'instant, les chauffeurs des TNC sont présumés être des employés et la commission doit s'assurer que les TNC respectent les exigences applicables aux employés d'une entité relevant de la juridiction de la commission », a écrit Genevieve Shiroma, commissaire à la Commission des services publics de Californie. Son ordonnance, qui a été conçue pour définir la portée des questions à venir, utilise l'acronyme des entreprises de réseau de transport pour faire référence aux plateformes technologiques de covoiturage.
Shiroma a également fait remarquer que la question est litigieuse, avec un procès intenté par l'État et trois villes cherchant à forcer ces sociétés à reclasser les conducteurs ; une mesure de vote à venir parrainée par Uber, Lyft et d'autres sociétés de covoiturage qui exempteraient leurs conducteurs de l'AB5 ; des procès intentés par des conducteurs cherchant à être reclassés ; et un procès intenté par Uber et Postmates cherchant à faire cesser l'application de l'AB5 à leur catégorie d’activité.
« La présence de ces poursuites et de cette mesure de vote ne signifie pas que la Commission peut abdiquer sa responsabilité réglementaire à l'égard des TNC », a-t-elle écrit. « En vertu du droit constitutionnel californien, la commission est chargée de faire appliquer les lois applicables aux entités relevant de sa juridiction jusqu'à ce qu'une cour supérieure, le corps législatif ou le public, par son droit de vote, en décide autrement ».
La nouvelle loi punit les sociétés basées sur les applications, selon Uber
Uber et Lyft ont tous deux repoussé la présomption de la Commission qu’ils considèrent comme erronée. « Les conducteurs sont correctement classés comme entrepreneurs indépendants et veulent, dans leur grande majorité, rester des entrepreneurs indépendants - 71 % dans le dernier sondage indépendant, même après les impacts de covid », a déclaré Julie Wood, porte-parole de Lyft, dans un courriel, selon SF Chronicle. Les chiffres font référence à une étude que les entreprises ont commandée et qui montre que dans le cadre d'un modèle d'emploi comme l’exige la nouvelle loi, seuls 10 à 20 % des chauffeurs et des coursiers pourraient continuer à travailler.
« Uber reste engagée à élargir les avantages et les protections des chauffeurs », a-t-elle déclaré dans un communiqué. « Si les régulateurs californiens forcent les sociétés de covoiturage à changer leur modèle d'entreprise, cela pourrait potentiellement mettre en danger notre capacité à fournir des services fiables et abordables, tout en menaçant l'accès à ce travail essentiel dont dépendent les Californiens ».
Mais d'autres entités du gouvernement, qui poursuivent Uber et Lyft sur cette question, ont bien accueilli l'ordonnance de la CPUC : « Nous avons longtemps soutenu qu'Uber et Lyft se trompaient dans la classification et l'exploitation de ses conducteurs, et nous avons l'intention de le prouver au tribunal », a déclaré Meiling Bedard, porte-parole du procureur Dennis Herrera, qui s'est joint au procureur général de Californie Xavier Becerra et aux procureurs de Los Angeles et de San Diego pour poursuivre les TNC le mois dernier. « Dans la mesure où la Commission des services publics de Californie considère que les chauffeurs d'Uber et de Lyft sont des employés, ils rejoignent une longue liste d'entités gouvernementales et de régulateurs qui sont constamment et correctement arrivés à la même conclusion », a-t-elle ajouté.
Dans une ordonnance du 19 décembre, Robert Mason, juge de droit administratif de la Commission, a demandé à Uber and Lyft des réponses détaillées sur les raisons pour lesquelles ils pensent que leurs chauffeurs ne devraient pas être des employés. La CPUC a parlé aussi de du harcèlement sexuel et d’agression sexuelle dans son ordonnance. Si cette loi entre en vigueur, l'indemnisation des travailleurs, pour les professions à haut risque comme la conduite automobile, pourrait être très coûteuse pour les sociétés qui ont jusqu’ici utilisé des chauffeurs avec des salaires bas pour leur compagnie.
Uber et Lyft soutiennent leur propre forme de protection des travailleurs qui conserve leur statut d’entrepreneurs indépendants
Selon Reuters, les deux entreprises ont fait état d'une initiative de vote en novembre qui les exempterait de la loi, pour laquelle elles ont affecté 90 millions de dollars, en collaboration avec la plateforme de livraison de nourriture DoorDash. Selon la proposition des entreprises, les chauffeurs recevraient des subventions basées sur le kilométrage, des allocations de santé et une assurance accidents du travail, tout en conservant leur flexibilité en tant que contractants.
Les syndicats ont vivement critiqué la proposition qui vise à créer une « nouvelle sous-classe de travailleurs » dépourvue de protections fondamentales telles que les indemnités de maladie et l'assurance chômage, a rapporté Reuters. Début mai, la Californie a intenté sa propre action en justice contre Uber et Lyft, arguant que les entreprises avaient mal classé leurs conducteurs en violation de la nouvelle loi.
Les sociétés de transport basées sur les applications mobiles en France pourraient aussi voir leur modèle économique bouleversé. En mars, la plus haute juridiction du pays a confirmé une décision antérieure d'une cour d'appel, en rendant un jugement qui reconnaît le droit d'un chauffeur d’Uber à être considéré comme un employé. La Cour de cassation de Paris a confirmé que le chauffeur d'Uber ne pouvait pas être considéré comme un entrepreneur indépendant. Selon la Cour, les critères qui déterminent un travail indépendant comprennent la possibilité de constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses propres tarifs et la liberté de fixer les modalités de fourniture de ses services. Mais ce n’est pas le cas avec les chauffeurs d’Uber.
En Suisse en 2017, la caisse suisse d'assurance (Suva) a annoncé que les chauffeurs utilisant la plateforme Uber doivent être considérés comme des salariés et non comme des freelancers. Par conséquent, la Suva estime que la société Uber a l'obligation de payer des cotisations sociales à l'instar de toutes les autres entreprises qui emploient des personnes. La Suva a déterminé qu'il existe bien un « lien de dépendance » entre Uber et ses chauffeurs, et cela résulte du fait que les chauffeurs travaillant pour Uber ont l'obligation de respecter l'ensemble des consignes, des directives, des indications et des recommandations, dans le cas contraire, des sanctions pourraient leur être infligées. « Un chauffeur peut être qualifié d'indépendant s'il peut décider du prix du service et du mode de paiement. », avait déclaré à l’époque la Suva.
Source : Ordonnance de la CPUC, Reuters
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Les régulateurs californiens affirment que les chauffeurs d'Uber et de Lyft sont des employés,
En vertu d'une nouvelle loi californienne en faveur des travailleurs indépendants
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Le , par Stan Adkens
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