La plus haute juridiction de la France a confirmé mercredi une décision antérieure d'une cour d'appel, en rendant un jugement qui reconnait le droit d'un chauffeur d’Uber à être considéré comme un employé, d’après un communiqué de presse de la juridiction. Cette reconnaissance par la Cour de cassation du nouveau statut des conducteurs d’Uber, jusqu’ici considérés comme entrepreneurs indépendants, pourrait bouleverser le modèle économique de l'entreprise américaine et l'obliger à payer plus d'impôts et d'avantages, tels que les congés payés.
Uber est une entreprise technologique américaine qui développe et exploite des applications mobiles de mise en contact des clients et des conducteurs qui réalisent des services de transport. La décision rendue mercredi est le dernier en date d'une vague de décisions à l'échelle mondiale visant à accorder plus de droits aux petits entrepreneurs indépendants. La Cour de cassation de Paris a confirmé que le chauffeur d'Uber ne pouvait pas être considéré comme un entrepreneur indépendant. En effet, selon la Cour, les critères qui déterminent un travail indépendant comprennent la possibilité de constituer sa propre clientèle, la liberté de fixer ses propres tarifs et la liberté de fixer les modalités de fourniture de ses services. Mais ce n’est pas le cas avec les chauffeurs d’Uber.
« Les chauffeurs qui utilisent l'application Uber ne se constituent pas une clientèle propre, ne fixent pas librement leurs tarifs et ne déterminent pas les modalités de prestation de leur service de transport. L'entreprise impose l'itinéraire et le tarif du chauffeur est ajusté si cet itinéraire n'est pas suivi. La destination est inconnue du chauffeur, ce qui révèle que ce dernier ne peut pas choisir librement l'itinéraire qui lui convient », lit-on dans le communiqué de la juridiction française.
La Cour de cassation a déclaré que le fait qu'Uber « détermine unilatéralement ses conditions et ses règles » est une indication que les chauffeurs ressemblent plus à des employés de l'entreprise qu'à des indépendants. « Lors de la connexion à la plateforme numérique d’Uber, une relation de subordination est établie entre le chauffeur et l'entreprise », a déclaré la Cour dans son communiqué de presse. « Par conséquent, le chauffeur ne fournit pas de services en tant qu'indépendant, mais en tant que salarié ».
En outre, Uber a un pouvoir de sanction sur les chauffeurs qui ne respectent pas ses conditions. En effet, « si le conducteur a refusé plus de trois trajets, Uber peut temporairement le déconnecter de son application ». Aussi « en cas de dépassement d'un taux d'annulation de commande ou si un "comportement problématique" est signalé, le conducteur peut perdre l'accès à son compte ». Selon la Cour de cassation, « l'existence d'un lien de subordination entre la société Uber et le conducteur lors de la connexion à la plateforme numérique » rend « le statut d'indépendant du conducteur purement fictif ».
Rym Saker, porte-parole de l'entreprise en France, a déclaré qu’Uber ne s'attendait pas à ce que la décision modifie les paramètres des contrats entre l'entreprise et ses chauffeurs. Selon Reuters, Uber a déclaré dans une déclaration écrite :
« La décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les conducteurs choisissent de faire appel à Uber : l'indépendance et la liberté de travailler si, quand et où ils veulent », a dit la compagnie. « Au cours des deux dernières années, nous avons apporté de nombreux changements pour donner aux conducteurs encore plus de contrôle sur la façon dont ils utilisent Uber, en plus de protections sociales plus fortes », a-t-elle ajouté, indiquant que la décision de la cour ne conduirait pas à un reclassement automatique des conducteurs.
« C'est un modèle économique complètement différent pour Uber »
La décision de la Cour de cassation vient mettre fin à un litige qui dure depuis plus de deux ans. Un chauffeur avait saisi la justice en juin 2017, deux mois après qu’Uber eut « désactivé son compte », le « privant de la possibilité de recevoir de nouvelles demandes de réservation », d’après la cour d’appel. A l’époque, Uber avait expliqué à la cour d’appel que la mesure avait été « prise après une étude approfondie de son cas ». En début 2019, Uber s’était pourvu en cassation après un arrêt de la cour d’appel de Paris estimant que le lien entre un ancien chauffeur indépendant et la plateforme mobile de la société était bien un « contrat de travail ». La Cour de cassation rejette ainsi le pourvoi d’Uber et confirme la décision de la cour d’appel de Paris.
Fabien Masson, l’avocat du chauffeur, s’est félicité de cette « jurisprudence » qui vise « le numéro un des plateformes de VTC [voitures de transport avec chauffeur] ». « C’est une première et ça va concerner toutes les plateformes qui s’inspirent du modèle Uber », a-t-il estimé.
« C'est un modèle économique complètement différent (pour Uber) », a déclaré Cédric Jacquelet, associé du cabinet d'avocats Proskauer à Paris. « Il nécessite beaucoup plus de ressources juridiques et humaines, à un prix beaucoup plus élevé », a-t-il ajouté, en précisant qu'Uber pourrait maintenant revoir les conditions dans lesquelles ses chauffeurs effectuent leur service afin qu'ils ne puissent plus prétendre être des employés.
Les conséquences de la décision française sont très importantes, tant pour le passé que pour l'avenir, selon Vincent Roulet, avocat chez Eversheds Sutherland. « En tant qu'employeur, Uber devient redevable des cotisations de sécurité sociale, est tenu de respecter les horaires de travail et, le cas échéant, les heures supplémentaires », entre autres avantages, a déclaré l'avocat. « Ces points s'appliquent à partir d'aujourd'hui, bien sûr, mais aussi aux relations passées : ces relations passées devront donc être réglées », a-t-il ajouté. Les coûts par chauffeur pourraient augmenter de plusieurs milliers de dollars si l'entreprise doit traiter les chauffeurs comme des employés et non comme des entrepreneurs indépendants.
La décision pourrait avoir des répercussions sur les autres entreprises qui exploitent des applications de taxi et de livraison, comme Deliveroo, Just Eat et Uber Eats
La décision prononcée le mercredi par la Cour de cassation dans l’affaire impliquant Uber pourrait avoir des répercussions sur l'économie française au sens large, selon Reuters, puisque d'autres applications de taxi et de livraison de nourriture, comme Deliveroo, Just Eat, Takeaway et Uber Eats, font également largement appel à des chauffeurs indépendants pour mener leurs activités sans avoir à supporter toute une série de coûts et d'avantages sociaux.
La décision pourrait constituer un précédent qui ouvrirait la voie aux autres conducteurs qui pourraient à leur tour demander un reclassement de leur relation de travail avec ces autres applications de taxi et de livraison.
La décision de la Cour de cassation de Paris fait suite à une série de contestations judiciaires à l'encontre d'Uber et d'entreprises similaires, du Brésil à la Colombie et aux États-Unis, afin de donner plus de droits aux petits entrepreneurs indépendants, selon Reuters. La Californie, où Uber est basée, a récemment adopté une loi visant à rendre plus difficile pour les applications de classer leurs travailleurs comme des entrepreneurs indépendants plutôt que comme des employés, mais Uber conteste cette loi. En outre, en 2018, une cour d'appel britannique a statué que les chauffeurs de l'entreprise Uber avaient droit au salaire minimum et aux congés payés.
Source : Cour de cassation
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La plus haute juridiction française reclasse les chauffeurs d'Uber en tant qu'employés,
Car une relation de subordination est créée lors de leur connexion à la plateforme numérique de la société
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Car une relation de subordination est créée lors de leur connexion à la plateforme numérique de la société
Le , par Stan Adkens
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