Dans le cadre de sa constellation Starlink pour fournir l’Internet moins coûteux aux endroits où l’accès est peu fiable ou totalement inexistant, l’entreprise SpaceX d’Elon Musk a déjà obtenu l’autorisation du lancement de 12 000 satellites Starlink et attend encore une autorisation pour 30 000 engins supplémentaires. Mais à peine a-t-elle commencé à positionner les premiers satellites dans l’orbite terrestre que la pollution lumineuse engendrée par les engins brillants suscite la polémique dans le milieu des astronomes.
SpaceX a déjà lancé 240 satellites, dont deux lancements de 60 satellites chacun pour seulement le mois de janvier. Mais un groupe de trois astronomes italiens veut l’empêcher de continuer cette mission, craignant que l'afflux de satellites sur l'orbite terrestre ne rende les observations plus difficiles au sol. Dans un article publié sur arXiv, les trois astronomes italiens des Observatoires astronomies de Rome, Brera et Trieste se dressent contre « la menace d’empêcher l’accès à la pleine connaissance du cosmos et [contre] la perte d’une richesse intangible d’une valeur incommensurable pour l’humanité ».
Dans leur article, ils appellent la communauté internationale des astronomes à attaquer en justice l’État américain. En effet, des projets de constellations de satellites privés, autorisés par le régulateur américain, se multiplient, et les astronomes ont commencé à se plaindre, dès le lancement des 60 premiers satellites Starlink, des trainées de lumière qui dégradent considérablement le ciel nocturne, empêchant l’observation de nombre d’entre eux. Plusieurs entreprises, notamment OneWeb et Amazon veulent également placer chacun plusieurs milliers d’engins en orbite pour proposer leur propre offre Internet.
Le trio d'astronomes tente de mobiliser des soutiens en faveur d'une action en justice pour empêcher SpaceX de lancer davantage de ses satellites de communication à haute visibilité, tout en cherchant à maintenir en attente le déploiement des autres constellations. Pour eux, le déploiement complet de ces constellations de satellites particulièrement brillants perturberait, non seulement, le travail des astronomes et scientifiques étudiant le cosmos depuis la Terre, « puisque les satellites Starlink peuvent changer d’orbite de façon autonome, il est impossible de programmer des observations qui les éviteraient », écrivent-ils. Mais également, ces constellations géantes de satellites perturberaient également la radioastronomie, les ondes émises par les satellites polluant complètement ce qui pourrait nous parvenir de l’espace profond.
« L'idéal serait d'arrêter le déploiement de ce genre de satellites jusqu'à ce que le problème soit très bien étudié. Nous devons comprendre quel est l'impact sur le ciel », a déclaré Michele Maris, de l'Observatoire astronomique de Trieste en Italie, qui fait partie du groupe demandant des poursuites judiciaires.
Les dommages que pourrait occasionner le déploiement des constellations géantes de satellites
Il y a actuellement 1500 satellites actifs en orbite autour de la Terre. Les experts de l'espace craignent que la multiplication des satellites de communication sur une orbite terrestre basse déjà surpeuplée ne rende plus probables les collisions entre satellites. Selon les astronomes, cela pourrait rendre l'hypothèse de l'astronome Donald Kessler, également connue sous le nom de "syndrome de Kessler", une réelle possibilité et pourrait créer un scénario astro-apocalyptique dans lequel une collision de satellites crée un effet de cascade provoquant d'autres collisions. La pollution spatiale qui en résulterait pourrait créer un nuage impénétrable de débris spatiaux et, par conséquent, tenir l'humanité en otage sur Terre.
Les chercheurs ont également souligné que ces perturbations auront un coût économique, à commencer par le manque à gagner pour l’argent investi dans la recherche rendue caduque par la pollution du ciel. Les dommages seront également culturels et humains par la privation définitive et surtout omniprésente du ciel tel que des millions de générations de terriens avaient pu le contempler avant ce besoin grandissant de donner l’Internet à tous sur à partir de l’espace, ont estimé les chercheurs.
Dans son commentaire adressé au magazine scientifique New Scientist, Chris Johnson, conseiller en droit spatial pour le Secure World Foundation a dit : « Il est temps pour la communauté spatiale élargie de se demander ce qui a le plus d’importance : la possibilité de pratiquer l’astronomie depuis la Terre et la vue traditionnelle du ciel nocturne, ou un Internet moins cher accessible depuis l’espace ».
Pour éviter que la constellation Starlink mette en péril les conditions d'observation des observatoires astronomiques terrestres du monde entier, qui dépendent d'un ciel obscurci pour faire des observations sur l'univers, les astronomes avaient déjà lancé l’alerte en juin 2019, puis mis en ligne une pétition en janvier 2020, signée par déjà plus de 1 500 de leurs pairs. Mais la seule réaction, à ce jour, fut la décision de SpaceX de tester un nouveau revêtement expérimental un peu moins lumineux sur les parties les plus exposées d’un de ses satellites. Les astronomes préconisent donc de passer à la vitesse supérieure, en passant par la procédure judiciaire.
« Comprenant le risque pour la communauté astronomique, une série d'actions sont proposées dans ce document pour atténuer et contenir les effets les plus dangereux découlant de tels changements dans la population des petits satellites », écrivent les astronomes dans leur document de 16 pages.
Appel à une action en justice contre l’État américain
Le groupe affirme que pour stopper les mégaconstellations, une affaire pourrait être portée devant la Cour internationale de justice pour faire valoir que le ciel nocturne est un droit humain partagé en vertu de la Convention du patrimoine mondial. « Le préjudice ici est l'atteinte à notre patrimoine culturel, le ciel nocturne, et les dommages monétaires dus à la perte de la radio et d'autres types d'astronomie », écrivent les astronomes. Ou bien un procès pourrait être intenté contre la Commission fédérale des communications (FCC) aux États-Unis pour avoir accordé une licence à Starlink, qui, selon le groupe, pourrait avoir enfreint la loi sur la politique environnementale nationale (NEPA).
« Il serait souhaitable d'adopter des résolutions contingentes et limitatives à ratifier en tant que règles internationales communes », écrivent les astronomes. Ils suggèrent que les États, directement victimes de cette pollution lumineuse en devenir via leurs projets de recherche ou leurs sites d’observatoires terrestres, portent eux-mêmes l’affaire en justice. « Il est essentiel qu’un gouvernement, comme le Chili, l’Italie ou la France, poursuive les États-Unis devant la Cour internationale de justice », écrivent-ils. Ils suggèrent également qu'en attendant, toutes les mégaconstellations soient mises en attente.
« S'il n'est pas possible de laisser une meilleure planète aux générations futures, nous pouvons au moins essayer de ne pas l'empirer », a déclaré Stefano Gallozzi, membre du groupe à l'Observatoire astronomique de Rome en Italie.
Cette proposition de procès survient quelques semaines après les allégations selon lesquelles la FCC aurait illégalement approuvé les plans de SpaceX pour le déploiement de la mégaconstellation. Cependant, l’agence fédérale américaine a déclaré dans un communiqué qu'elle « rejetait fermement » toute allégation de violation de la NEPA et que son approbation de Starlink était « tout à fait légale ».
Pendant ce temps, SpaceX va de l’avant avec sa mission Starlink. Les lancements sont en cours, et la société devrait envoyer 1500 satellites Starlink en 2020. Le projet a été approuvé par les autorités réglementaires australiennes avant son dernier lancement de janvier. Il n’est pas clair que OneWeb et Amazon de Jeff Bezos ont l’intention de modifier leur plan pour leur projet d’Internet accessible depuis l’espace.
Avec la pollution lumineuse ne figurant pas vraiment au sommet des priorités géopolitiques mondiales, on ne sait pas si les chercheurs pourront être entendus. Cependant, pour Chris Johnson, malgré les minces chances de succès d'une action en justice, un argument pourrait être avancé.
Source : Appel des astronomes
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Le , par Stan Adkens
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