Google a toujours le dos au mur dans le différend qui l’oppose à Oracle dans l’affaire de droit d’auteur sur les API Java, qui risque d’avoir un impact significatif sur l’activité de la communauté des développeurs et des entreprises de haute technologie. En effet, la semaine dernière, le bureau de l’avocat général de la Maison-Blanche a délivré son avis sur la demande de Google à la Cour suprême d'annuler la décision controversée du Circuit fédéral dans l'affaire des API qui oppose Oracle à Google depuis neuf ans. Et il a suggéré que la Cour suprême n'entende pas l'affaire.
En avril dernier, la Cour suprême avait demandé son avis concernant le droit d'auteur sur les API (et la question de savoir si leur réutilisation est ou non une utilisation équitable, comme le soutient Google). Mais, selon Techdirt, un blog Internet qui traite des problèmes juridiques posés par la technologie, la décision de l’avocat général ne devrait étonner personne, étant donné qu’il a toujours été du côté d'Oracle dans l’affaire. En effet, il s’agissait de se prononcer sur le droit d’auteur sur les API, mais le bureau de l’avocat général a prétendu qu'il s'agit de savoir si le code source d'un logiciel est ou non admissible au droit d'auteur. Voici, ci-dessous, un extrait de son avis publié la semaine :
Cette affaire concerne le droit d'auteur du code informatique. Pour amener un ordinateur à exécuter une fonction, une personne doit lui donner des instructions écrites. Généralement, ces instructions sont écrites en "code source", qui se compose de mots, de chiffres et de symboles dans un "langage de programmation" particulier, qui a sa propre syntaxe et sémantique. Le code source est ensuite converti en "code objet" binaire - un et zéros - qui est lisible par l'ordinateur.
Il est à la fois "fermement établi" et incontesté dans ce cas que le code informatique peut être protégé par le droit d'auteur en tant qu'"œuvre littéraire[]". 1 Melville B. Nimmer & David Nimmer, Nimmer on Copyright § 2A.10[B] (2019). L'article 101 définit un "programme informatique" comme "un ensemble de déclarations ou d'instructions à utiliser directement ou indirectement dans un ordinateur pour obtenir un certain résultat". 17 U.S.C. 101. Et diverses dispositions de la Loi sur le droit d'auteur reconnaissent qu'une personne peut détenir un droit d'auteur sur un "programme informatique".
Seulement qu’il ne s’agit pas de code source d’un logiciel – dont la protection par le droit d’auteur est sue de tous – dans l’affaire qui oppose oracle à Google. La question est de savoir si une interface de programmation d'application - une API - est soumise ou non au droit d'auteur. Mais les avocats et les juges, qui n'ont aucune connaissance technique, ont simplement refusé de comprendre qu'une API n'est pas un logiciel et ont continué à appliquer le droit qui s’applique aux logiciels aux API, a écrit Techdirt dans un rapport publié lundi dernier.
Une API est un ensemble de spécifications permettant l'accès aux données, à une application ou à un service. Il s'agit d'une « méthode d'exploitation », qui n'est tout simplement pas assujettie à la loi sur le droit d'auteur. Par ailleurs, en 1996, la Cour suprême avait statué dans l'affaire qui opposait Lotus à Borland que l'interface utilisateur d'un programme informatique n'est pas assujettie au droit d'auteur en vertu de l'alinéa 102b), car cette interface est une « méthode de fonctionnement », a rapporté Techdirt.
Mais dans le présent cas, l’avocat général a tenté d’effacer tout cela dans son mémoire, en insistant sur le fait que la décision dans l'affaire Lotus contre Borland est différente parce qu'il s'agissait d'une interface, alors que cette affaire concerne le code source. Voici ce que le bureau de l’avocat général a écrit à ce propos la semaine dernière :
L'interprétation de l'alinéa 102b) par le Circuit fédéral, dans la présente affaire, n'entre pas en conflit avec ces décisions. Voir 14-410 U.S. Br. 19-22. Dans l'affaire Lotus, le premier circuit a invoqué l'alinéa 102b) pour conclure que l'agencement des commandes de menu présentées à un utilisateur de logiciel était une " méthode d'exploitation " non soumise au droit d’auteur pour le logiciel en cause. 49 F.3d aux pp. 815-818. L'affaire n'a pas abordé la question du droit d'auteur du code informatique, et le Premier circuit a par la suite reconnu, conformément à la décision ci-dessous, que l'alinéa 102b) codifie la dichotomie idée/expression.
Comment l’affaire Oracle contre Google est-elle arrivée à ce stade aujourd’hui
À titre de rappel, à l’origine de ce conflit, Oracle a accusé Google d’avoir utilisé des éléments de base de Java dans son système d’exploitation mobile Android sans n’avoir obtenu aucune licence de sa part. Le géant de Mountain View est accusé d’avoir copié dans Android « la structure, la séquence et l’organisation » de 37 API Java.
De son côté, Google a rejeté toute infraction, expliquant que les API ne devraient pas être protégées par le droit d’auteur parce qu’elles sont nécessaires pour écrire des programmes compatibles. La société estime par ailleurs que si les premières entreprises de technologie revendiquaient de tels droits, cela aurait certainement bloqué le développement de nombreuses technologies dont nous disposons aujourd’hui.
Google a remporté deux victoires au niveau des tribunaux de district aux États-Unis. Mais à chaque fois, une cour d'appel fédérale a annulé le verdict, statuant en faveur d’Oracle, ce qui a été le cas dans la dernière décision de justice dans l’affaire. En janvier dernier, Google a demandé à la Cour suprême des États-Unis d'entendre l'affaire, de même que les 175 entreprises, organisations à but non lucratif et individus qui ont signé 15 mémoires en justice soutenant le plaidoyer de Google.
En mars, Oracle a, à son tour, demandé à la Cour suprême de rejeter la demande faite par Google. Dans un mémoire aux fins d'opposition déposé en mars, Oracle a déclaré que la violation de droit d'auteur dont Google s'est rendu coupable l'a empêchée de se lancer sur le marché émergent de développement des smartphones, causant ainsi un préjudice incalculable à son activité. Mais le 29 avril, la Cour suprême a demandé l’avis de Noël Francisco, l'avocat général des États-Unis.
Si la décision rendue par l’avocat général la semaine dernière n’a pas surpris plus d’un du fait de son parti pris pour Oracle dans l’affaire, ce sont plutôt les nombreux tweets de Annette Hurst, l'avocate principale d'Oracle – une avocate qui a été impliquée dans de grandes affaires de droit d'auteur dans le passé – qui sont surprenants.
L’avocate principale d’Oracle continue de confondre les API et les logiciels
En effet, l’avocate s’est fait passer pour l’éclaireuse de toute la communauté logicielle sur Twitter, en faisant de fausses déclarations répétées sur les API, durant le week-end suite à la publication du mémoire de l’avocat général des États-Unis. Elle a attaqué quiconque s’opposait à sa vision des API en les accusant des gens gagnés à la cause de Google.
Par le passé, lorsque le jury du tribunal de district eut conclu que l'utilisation des API Java par Google était équitable, Hurst a insisté pour maintenir la position de la cour d'appel fédérale pour tuer les logiciels libres parce que cela signifiait que le code source des logiciels ne pouvait plus être ouvert, a rappelé Techdirt. Des années ont passé et elle continue de confondre une API avec un code de logiciel exécutable. Lorsque Mark Lemley, avocat plaideur et professeur de droit renommé et respecté, a invoqué sur Twitter la déclaration « indéfendable » de l’avocat général selon laquelle l'arrêt Lotus contre Borland n'est pas contraire à sa décision, Hurst a répondu avec dédain :
Malgré les avis éclairés des experts qui l’interpelaient sur la différence entre les API et les logiciels, l’avocat principal d’Oracle continuait à confondre les deux notions en répétant ce que personne n’ignore.
Et lorsque de plus en plus de gens faisaient tourner en dérision ses tweets, sa seule affirmation était de prétendre que quiconque prend parti pour Google doit avoir été financé par le géant américain de la technologie.
Il est vrai que Hurst ne sait rien de ce qu'est une API et que ses propos sont tournés en ridicule sur Twitter, mais elle a tout de même convaincu le Circuit fédéral qu’une API n'est pas différente du logiciel. Selon Techdirt, elle pourrait réussir à convaincre la Cour suprême, comme elle a apparemment convaincu l’avocat général. Mais s’attaquer aux experts en la matière sur Twitter, pour faire valoir des arguments qui ignorent de façon flagrante comment le logiciel fonctionne réellement, montre à quel point Hurst semble prête à se jeter à l'eau quand il s’agit d’Oracle.
Oracle a présenté l'affaire en 2010 après que Google ait incorporé 11 500 lignes de code Java d'Oracle dans son système d’exploitation mobile Android qui tourne sur smartphones et tablettes. Depuis, Android est devenu le système d’exploitation le plus populaire au monde, fonctionnant sur plus de 2,5 milliards d’appareils.
Sources : Mémoire de l’avocat général, Tweets (1, 2 & 3)
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Le , par Stan Adkens
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