En juillet dernier, le gouvernement français a dévoilé son projet de loi « relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ». Présenté par M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, et Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, il cible notamment les constructeurs de matériels informatiques et produits high-tech. Le gouvernement veut les contraindre à payer plus pour la gestion des déchets électroniques (e-waste) qui avec la révolution technologique n'ont cessé d'envahir la Planète, mettant ainsi en péril l'environnement.
Examiné par les sénateurs cette semaine, le projet s’articule autour de trois principaux axes, à savoir : renforcer l’information du consommateur sur la qualité et les impacts environnementaux des produits qu'il consomme ; mettre fin au gaspillage pour préserver les ressources naturelles ; et mobiliser les industriels pour non seulement transformer les modes de production, mais mieux gérer les déchets.
L'obsolescence programmée a été plus ou moins abordée dans le projet. Le gouvernement prévoit par exemple d'instaurer un indice de réparabilité à partir du 1er janvier 2021. C'est-à-dire que certains équipements électriques et électroniques (liste à préciser par un décret) devraient comporter une information sur leur réparabilité, sur le modèle de l’étiquette énergie. Cette information est élaborée sur la base d’un référentiel développé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) en concertation avec les industriels.
Mais en plus d'un indice de réparabilité pour les produits électroniques, les industriels se verront dans l'obligation de proposer des pièces de rechange d'occasion à la place des pièces neuves ; ce qui devrait permettre de « diminuer le coût de la réparation, de réduire ainsi la production de déchets, et de développer l’activité économique de réparation, tout en favorisant le pouvoir d’achat des consommateurs ». L’information sur la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation des équipements électroniques sera par conséquent obligatoire et le délai de fourniture de ces pièces détachées par le fabricant ou l’importateur devrait être réduit, passant de deux mois à vingt jours.
Toutefois, la proposition du gouvernement se limitait à l'obsolescence matérielle. Malgré l'importance de l'enjeu de l'obsolescence logicielle, la question est totalement absente du projet de loi initial. Pour l'examen en séance publique au Sénat qui a commencé le mardi 24 septembre, plusieurs amendements ont donc été proposés pour corriger ce qui a été qualifié de défaut de conception.
Le sénateur Guillaume Gontard, au nom du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE), a par exemple suggéré (amendement N° 169) d'ajouter à la liste des informations précontractuelles obligatoires, l'existence de « restriction d'installation de logiciel tiers ». Il estime que « la capacité d’un produit à utiliser des logiciels libres est le pendant immatériel de la capacité physique d’un produit à être réparé... Or, il existe de nombreux exemples de pratiques consistant à restreindre l'installation de logiciel tiers dans un équipement électrique ou électronique. » Il fait notamment référence aux ordinateurs ou aux terminaux mobiles, où l'installation d'un système d'exploitation tiers peut être rendue impossible par une couche logicielle dans la carte mère. « Ces pratiques peuvent avoir de lourdes conséquences sur le choix du consommateur, et sur la durée de vie de ses appareils », dit-il. Pour lui, les logiciels libres représentent des solutions efficaces pour donner une seconde jeunesse à un ordinateur dont la puissance n’est plus adaptée aux logiciels commerciaux mis sur le marché.
À défaut de pouvoir interdire les pratiques qu'il a évoquées, Guillaume Gontard pense qu'il est légitime de « demander aux fabricants ou fournisseurs de matériels d’informer les consommateurs d’éventuelles restrictions relatives à l’utilisation des logiciels libres afin de permettre aux consommateurs de procéder à des choix éclairés », une mesure qui selon lui est indispensable au développement d’une informatique plus durable. Son amendement a toutefois été jugé irrecevable.
Une autre proposition (amendement 170) du même groupe CRCE était d'informer le consommateur de la période pendant laquelle les logiciels et systèmes d’exploitation qu'ils utilisent seront disponibles sur le marché et d'imposer au fabricant ou importateur de distinguer « les mises à jour correctives et évolutives ». L'utilisateur devrait alors être en mesure de refuser les mises à jour évolutives, et « le refus ne [devrait] pas entraîner de dégradation des performances » de l'appareil. Leur motif est clair : « La multiplication des mises à jour [évolutives] pose un risque croissant d’obsolescence accélérée du matériel. L’exemple des smartphones rendus obsolètes à la suite des mises à jour des systèmes d’exploitation est à ce titre éclairant. » En effet, si les mises à jour correctives, qui servent à corriger des dysfonctionnements, sont généralement peu impactantes en termes de diminution des performances, les mises à jour évolutives, qui ajoutent ou modifient directement les fonctionnalités des appareils, sont plus lourdes. « Elles contribuent donc significativement au phénomène d'obésiciel, première cause de ralentissement des équipements qui poussent les utilisateurs à remplacer des équipements pourtant parfaitement opérationnels d’un point de vue matériel. » Cet avis semble toutefois ne pas être largement partagé puisque l'amendement a été rejeté par le gouvernement et la commission développement durable du Sénat.
L'amendement 353 a lui aussi été rejeté. Or il visait simplement à compléter la définition de l’obsolescence programmée en précisant que cette technique peut inclure « l’introduction volontaire d’une défectuosité, d’une fragilité, d’un arrêt programmé ou prématuré, d’une limitation technique, d’une impossibilité de réparer ou d’une non-compatibilité ». Le gouvernement et les sénateurs nient-ils qu'il existe des constructeurs qui ont recours à ces pratiques ? Ou c'est juste que ces pratiques extrêmes sont en réalité très rares, voire inexistantes ?
Il y a toutefois une petite bonne nouvelle (fausse bonne nouvelle ?) pour les partisans de la lutte contre l'obsolescence logicielle programmée. Plusieurs amendements (N° 115 du CRCE, N° 348 du groupe socialiste et républicain, N° 565 de La République En Marche, N° 669 du Rassemblement Démocratique et Social Européen) proposant d'interdire « toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil hors de ses circuits agréés » ont été adoptés. Le piège est qu'aucune technique n'est explicitement bannie et que ces amendements ne vont pas plus loin. Quoi qu'il en soit, au moins l'obsolescence logicielle est déjà évoquée. Maintenant, si les députés ne font rien, il faudra attendre la mise en oeuvre de ces amendements pour voir si elle sera à la hauteur des attentes.
Sources : Amendements sur l'obsolescence logicielle rejetés (N°169, N°170, N°353), Amendements sur l'obsolescence logicielle adoptés (N° 115, N° 348, N° 565, N° 669)
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Le , par Michael Guilloux
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