En avril 2019, pas moins de sept pays de l'UE ont exprimé leurs graves préoccupations quant aux articles 11 et 13. L’un d’eux était la Pologne, qui a publié une déclaration commune avec les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie et la Finlande, qui ont déclaré notamment :
« Les objectifs de cette directive étaient d'améliorer le bon fonctionnement du marché intérieur et de stimuler l'innovation, la créativité, l'investissement et la production de nouveaux contenus, y compris dans l'environnement numérique. Les signataires soutiennent ces objectifs. Les technologies numériques ont radicalement changé la manière dont le contenu est produit, distribué et utilisé. Le cadre législatif doit refléter et guider ces changements.
« Cependant, à notre avis, le texte final de la directive ne répond pas aux objectifs susmentionnés. Nous pensons que la directive dans sa forme actuelle constitue un pas en arrière pour le marché unique numérique, et non un pas en avant.
« Nous regrettons notamment que la directive ne crée pas un juste équilibre entre la protection des titulaires de droits et les intérêts des citoyens et des entreprises de l'UE. Cela risque donc d'entraver l'innovation plutôt que de la promouvoir et d'avoir un impact négatif sur la compétitivité du marché unique numérique européen.
« En outre, nous estimons que la directive manque de clarté juridique, créera une incertitude juridique pour de nombreuses parties prenantes concernées et pourrait porter atteinte aux droits des citoyens de l’UE.
« Nous ne pouvons donc pas exprimer notre consentement au texte proposé de la directive ».
Malheureusement, lors du vote final, les voix de ces pays ont été étouffées par les autres États membres de l'UE et la directive a été adoptée. Cependant, ce n'était pas la fin de l'histoire. Le 23 mai, le compte Twitter officiel de la chancellerie du Premier ministre polonais a tweeté comme suit, rappelant les points soulevés dans la déclaration commune:
« Demain, la #Pologne va intenter un recours contre la directive relative au droit d'auteur à la CJUE. Voici pourquoi : # Article13 # Article17 # ACTA2
« Pourquoi la Pologne est-elle préoccupée par la directive sur le droit d'auteur?
« La directive n'assure pas un équilibre entre la protection des titulaires de droits et les intérêts des citoyens de l'UE et des entreprises de l'UE.
« La directive n'assure pas la clarté juridique, suscite une incertitude juridique pour les parties prenantes et met en danger les droits des citoyens de l'UE.
« Cela pourrait avoir un impact négatif sur la compétitivité du marché unique numérique européen.
« Cela risquerait d'entraver les innovations au lieu de les promouvoir »
Cependant, à ce moment-là, aucun détail n'a filtré concernant ce mouvement juridique potentiellement important jusqu'à maintenant. Une communication au Journal officiel de l'Union européenne inclut les éléments suivants: « Recours introduit le 24 mai 2019 — République de Pologne/Parlement européen et Conseil de l’Union européenne (Affaire C-401/19) ». L'entrée correspondante indique que le gouvernement polonais estime que les filtres de chargement requis par l'article 13/17 constituent une « violation du droit à la liberté d'expression et d'information » garantis par l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne:
« La République de Pologne affirme en particulier que l’obligation faite aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de fournir leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires (article 17, paragraphe 4, sous b), de la directive 2019/790) et l’obligation faite aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de fournir leurs meilleurs efforts pour empêcher que les œuvres et autres objets protégés, pour lesquels les titulaires de droit ont présenté une notification suffisamment motivée, soient téléversés dans le futur (article 17, paragraphe 4, sous c), in fine de la directive 2019/790) a pour conséquence — afin d’éviter la mise en cause de leur responsabilité — que les fournisseurs de services doivent procéder à une vérification automatique préalable (filtrage) des contenus partagés en ligne par les utilisateurs, ce qui implique par conséquent de mettre en place des mécanismes de contrôle préventif. De tels mécanismes mettent en cause l’essence même du droit à la liberté d’expression et à l’information et ne respectent pas l’exigence de proportionnalité et de nécessité de toute atteinte à ce droit ».
Bien sûr, il n’y a rien de nouveau ici (c’est une situation qui a été souligné à maintes reprises par plusieurs parties avant l’adoption de la directive). Mais ce qui est important, c’est que cette fois-ci, c’est le gouvernement polonais qui fait cette déclaration et, dans le cadre d’une plainte déposée devant la plus haute instance judiciaire de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Certains estiment que le principal intérêt de l'action judiciaire de la Pologne est qu'elle oblige la CJUE à examiner les questions soulevées. Cela inclura nécessairement la question de savoir si les filtres de téléchargement sont « proportionnels et nécessaires » en réponse au téléchargement de copies non autorisées par des membres du public.
En ce qui concerne les mesures correctives, le gouvernement polonais souhaite idéalement que les points b) et c) de la section suivante de l'article 13/17 soient annulés:
« Si aucune autorisation n'est accordée, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d'œuvres protégées par le droit d'auteur et d'autres objets protégés, à moins qu'ils ne démontrent que:
« a) ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation; et
« b) ils ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l'indisponibilité d'œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires; et en tout état de cause
« c) ils ont agi promptement, dès réception d'une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l'accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l'objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu'ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b). »
Rappelons que ces deux briques contraignent les hébergeurs d’une part à rendre indisponible les contenus épinglés par les titulaires de droits, d’autre part à empêcher leur réapparition. Le gros mot « filtrage » a été soigneusement évité, mais le texte s’oriente bien vers cette solution.
Si, toutefois, la CJUE décide qu'il n'est pas possible d'exempter uniquement ces parties, le gouvernement polonais dispose d'une position de repli: il demande l'annulation totale de l'article 13/17. Il est trop tôt pour dire si la demande de la Pologne a une chance d'être acceptée.
Source : Tweet chancellerie du Premier ministre polonais, Journal officiel de l'Union européenne, article 17
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Le , par Stéphane le calme
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